Le carnet de Sidoine - 73-02
"Le carnet de Sidoine", MSC, n°238, février 1973, p. 2.
Le carnet de Sidoine
Question 1
J’ai lu dans un journal (« La Croix » du 17 janvier 1973, page 2) la lettre non signée d’une lectrice qui propose de modifier les vestiaires du Secours Catholique. Que faut-il en penser ?
Réponse :
Quelles sont les modifications subitement proposées par cette dame ?
Premièrement : elle suggère de faire payer un prix modique pour chaque vêtement distribué. Actuellement le Secours Catholique gère en France des centaines de vestiaires tantôt seul, tantôt en collaboration avec la Croix-Rouge ou les Conférences de Saint-Vincent-de-Paul. Sans attendre les suggestions de cette dame un certain nombre de ces vestiaires ont - depuis plusieurs années - essayé cette solution « payante ». Cela n’a pas été toujours une amélioration...
En fait, c’est chaque Comité local qui décide de la meilleure méthode, suivant son expérience et suivant la mentalité du quartier desservi.
Deuxièmement : cette dame s’insurge contre le vestiaire « où l’on donne souvent à la tête du client (sic) ».
Alors que veut-elle ? Que l’on distribue n’importe quoi à n’importe qui, automatiquement et indistinctement ?
Mais la première qualité de la responsable du vestiaire est de savoir deviner à travers le visage et les confidences du visiteur, ses besoins exacts. Celui qui vient de faire cinq ans de prison a besoin d’une tenue non défraîchie pour se présenter chez son employeur. Celui qui sort d’hôpital et vient d’être embauché sur un chantier d’autoroute a besoin d’un costume robuste et d’un solide tricot de laine : oui, il est indispensable de s’adapter à chacun des « cas ». Du jour où il n’y a plus qu’un étalage soldé à bas prix, c’est un marché aux puces : il n’y a pas besoin d’un Secours Catholique pour ce genre de liquidation commerciale.
Conclusion : la valeur d’un vestiaire dépend de la compréhension de la responsable. Savoir écouter, deviner et comprendre est aussi important que savoir ranger les vêtements. Au lieu de l’expression triviale : « Donner à la tête du client », traduisons « S’adapter au visage de chaque cas présenté ».
Question 2
- Mon neveu désire entreprendre, avec plusieurs camarades, une grève de la faim pour les sinistrés du Nicaragua.
Qu’en pense Sidoine ?
Réponse :
- Sidoine est ici doublement contestataire.
● Il conteste d’abord, au nom de la belle et claire langue française, l’expression « grève de la faim » qui est grammaticalement un non-sens.
Une grève marque l’arrêt d’une fonction : grève des postes = arrêt des postes ; grève de la S.N,C.F. = arrêt des trains. Si vous voulez ne plus manger, dites de même : grève des repas ou grève de la nourriture. Mais dire grève de la faim indique un arrêt de la faim, alors qu’il s’agit ou contraire d’une faim qui grandit puisqu’on ne mange pas.
C’est le type de l’expression absurde, mais comme le public ne fait plus attention au vrai sens des mots, elle est aujourd’hui couramment employée...
● Sidoine conteste ensuite au nom du bon sens.
Il y a cinquante ans, on se moquait des catholiques qui, obéissant aux lois de l’Église, jeûnaient en Carême et s’abstenaient de viande le vendredi.
Aujourd’hui, les mêmes catholiques mangent tout ce qu’ils veulent. Mais dès qu’un individu se met à jeûner, il choisit un piédestal visible, convoque photographes et reporters, et tout le public marche à fond derrière cet exhibitionniste.
On parle de lui. On le visite. C’est la vedette du jour...
Nos arrière-grands-parents qui, eux, ont observé les lois de l’abstinence et qui constatent que les seuls abstinents actuels sont les vedettes des grèves de la faim, doivent se demander si nous avons encore le sens.