Enfants du Sahel et d’ailleurs
Jean RODHAIN, "Enfants du Sahel et d’ailleurs", MSC, n° 252, mai 1974, p. 3.
Enfants du Sahel et d’ailleurs.
Cet enfant vous remercie
On trouvera dans ce numéro un premier bilan des nouveaux envois que nous réalisons actuellement vers le Sahel.
Mais, avant tout, ce qu’il faut exprimer ici, c’est un merci aux lecteurs qui depuis le dernier numéro, avec une rapidité et avec une générosité extraordinaires se sont intéressés aux envois des rations pour enfants. A peine le numéro de Message était-il diffusé, qu’aussitôt les premiers chèques arrivaient. Et les lettres comme les talons de C.C.P. précisaient les intentions : les enfants du Sahel. Et en même temps comme un écho exact les chiffres de ces dons correspondaient aux chiffres indiqués dans notre documentation.
Chacun, d’après le barème indiqué avait calculé le nombre de rations pour enfants qu’il pouvait assumer. C’est la voix de tous ces enfants depuis ceux de Mauritanie jusqu’à ceux d’Éthiopie qui devrait parler ici pour répondre à votre geste et vous remercier personnellement.
Cet enfant nous interroge
Comme une prairie au printemps constellée de cent graminées différentes, vos envois sont loin de toute monotonie. Je ne parle pas des moyens inventés par ceux-ci et ceux-là pour organiser leur collecte : le cœur est source d’inventions continuelles. Non, je parle des préoccupations que le dépouillement de ce courrier révèle. On pose des questions. On veut des explications sur cette sécheresse. On s’interroge sur les responsabilités. On présente des objections. On s’interroge sur son devoir, sur ses revenus. On expose son propre cas de conscience. Car il s’agit bien, en effet, d’une prise de conscience. Nous sommes bien loin d’une quelconque aumône automatique. Ce ne sont pas des rêveries nuageuses non plus : c’est une communauté qui s’interroge sur son propre devoir. Et c’est cette loyauté lucide qui est encore plus réconfortante que les sommes inscrites sur chaque chèque reçu. Ces enfants nous interrogent et l’attention prêtée par tous à ces enfants du Sahel marque un progrès dans l’éveil aux problèmes du Tiers Monde.
Cet enfant est parmi nous
Cette famine est inégalement répartie. Mais dans certaines zones elle est d’une cruauté insoutenable. « Ces gens devraient être morts » notait une diététicienne américaine après quelques jours d’enquête . Ces gens tiennent grâce à une endurance et à une sobriété extraordinaire.
L’expérience du Biafra et du Bengladesh nous ont appris qu’après une période de sous-alimentation, l’enfant reste de longues années fragile et sujet à de multiples séquelles. L’expérience du Sahel prouve que si l’adulte, à l’heure de la famine, s’adapte à des nourritures nouvelles, l’enfant ne s’adapte pas. Cette fragilité de l’enfant conduit finalement chacun à regarder autrement autour de lui.
L’enfant du migrant fait deviner les problèmes de toute la famille émigrée. L’enfant du prisonnier fait comprendre la situation du foyer séparé. Venez passer quelques heures dans un foyer d’enfants abandonnés et vous serez saisi - plus que par tous les décors - par l’importance de la famille unie.
Ainsi le fragile enfant nous ouvre les yeux sur tous les problèmes. Ce n’est pas pour rien que le Christ donnait les enfants comme ceux qu’il fallait regarder attentivement.
Nous continuerons ensemble à sauver des enfants au Sahel, mais en regardant plus attentivement autour de nous ces autres enfants qui attendent...
Jean RODHAIN