A propos d’un faire-part
"A propos d’un faire-part", MSC, n°255, septembre 1974, p. 3.
A propos d’un faire-part
Ici l’arrivée du courrier réserve chaque jour des découvertes nouvelles.
Parmi les imprimés
Un lecteur m’envoie ce qu’il appelle un document exceptionnel. C’est un faire-part de mariage comme les autres. Seulement dans le coin du premier volet une indication : « Au lieu du cadeau traditionnel, nous vous suggérons de venir en aide à un village éprouvé du Sahel ».
Et l’expéditeur m’explique que les fiancés sont d’anciens coopérants qui ont conservé de fidèles amitiés dans les villages où ils ont travaillé, et que les réponses à leurs invitations ont permis une aide précise pour reconstituer le troupeau d’un village du Mali.
Ce document n’a rien d’exceptionnel. Dans mon tiroir j’ai déjà toute une collection de faire-part du même genre y compris des faire-part de naissance. Le dernier reçu est un faire part de la naissance de Thomas, né le 31 Juillet 1974 à 8 h du matin. Et ses parents ajoutent la mention suivante : « Thomas ne manque de rien. Les enfants du Sahel, eux manquent de tout. Nous préférons que vous leur donniez la priorité. C.C.P. 5620-09 SOS Sahel ».
Il ne s’agit pas de détails. Ces indications sont significatives.
Tous les archivistes vous diront comment, avec les registres de l’État civil ou avec des collections de faire-part, on peut reconstituer l’évolution des générations passées. Il y a 50 ans on n’aurait pas imaginé des faire-part portant des indications de ce genre. Ces invitations au partage sont un indice significatif.
Tous les liturgistes, et les canonistes aussi, vous expliqueront leur désarroi devant l’effondrement du maigre du vendredi. Le Concile avait prévu que cette pénitence serait remplacée par « autre chose ». Or avant même que d’autres solutions soient proposées, cette tradition séculaire s’est volatilisée.
Et voici que d’autres formes de privations se dessinent. Et ce n’est pas l’Église qui les a dictées du haut de son magistère. Elles fleurissent spontanément chez les fidèles comme les fleurs dans un champ fertile. Ce qui prouve une foi bien enracinée et un soleil rayonnant de grâces actuelles inépuisables. C’est sans aucune consigne, mais tout spontanément que des fiancés renoncent aux cadeaux de mariage pour partager avec ceux qui ont faim.
Ces faire-part sont des signes : ce sont des jeunes qui inventent et qui sont en avance.
Taizé est un test. Mais Lourdes, où défilent chaque année dix fois plus de jeunes qu’à Taizé, est aussi un test : tous ceux qui ont pu écouter ces jeunes à Taizé comme à Lourdes, sont frappés de leur générosité, de leur soif et de partage et de prière.
Parmi les lettres
Voici sur du papier écolier quadrillé un compte rendu local :
Une brave paroissienne s’est aperçue qu’en expédiant elle même un colis de 3 kg par la poste il fallait compter 2 ou 3 mois pour parvenir en Afrique, mais que le colis parvenait finalement intact. Elle a réussi à persuader toute une série de paroisses lointaines d’utiliser ce procédé. Et j’ai sous les yeux le bilan : l’orphelinat-dispensaire de Boulba (Haute-Volta) a ainsi reçu depuis deux ans : 1.024 colis de lait soit plus de trois tonnes. Ces trois tonnes de lait ont littéralement sauvé, au cœur du Sahel, des centaines d’enfants.
Pour le Sahel, je suis le premier à prêcher pour la coordination et pour l’utilisation d’envois massifs avec des méthodes modernes. Mais j’avoue que devant ces trois tonnes bien exactement parvenues au but, je tire mon chapeau aux méthodes artisanales : il faut à la fois des usines pour produire le sucre par wagons complets, mais il faut en même temps des abeilles traditionnelles pour produire le miel. Il faut des structures et une ossature, mais il faut aussi ce tissu humain qui est la vie véritable.
A côté du bilan publiable il y a ainsi toute une fermentation non chiffrée. La véritable charité dépasse l’ordinateur.
Ce ne sont pas des détails.
Motions, résolutions, appels : nous voyons tant de bonnes intentions s’enliser dans des phrases et dans des mots.
Ici voici enfin du concret. C’est un partage réel. Ce sont des gestes précis et efficaces.
Voilà pourquoi ces détails sont des signes. Une épidémie se propage par des microbes. Une révolution se réalise par des gestes répétés. Une mentalité se transforme par des détails.
Jean RODHAIN