Priorité à la famille
"Priorité à la famille", MSC, n° 264, juillet-août 1975, p. 1.
Priorité à la famille
LUI. - Je tombe de haut : on m’a invité à visiter certaines réalisations de votre Secours Catholique. Je m’imaginais retrouver une ambiance embaumée de douceur et de tranquillité comme dans les pharmacies de ma grand-mère. Or ces visites m’ont plongé dans le désarroi. Et je m’interroge...
MOI. - C’est le moment de vous expliquer : posez vos questions ...
LUI. - On m’a d’abord conduit dans un centre où vous accueillez les jeunes drogués. Je reconnais avoir rencontré ici une jeune équipe exemplaire. A force de patience et de compréhension, elle parvient à guérir un certain nombre de ces égarés. C’est une joie d’obtenir que celui-ci quitte le trottoir et accepte le retour dans sa famille. J’étais tout réjoui par ce travail efficace. Mais tout à coup, j’apprends par un de vos responsables que certaines familles ne s’intéressent même pas au retour de leur enfant. J’en suis abasourdi. Est-ce croyable ?
MOI. - Ce n’est pas croyable : c’est évident. La carence actuelle des familles explique, en partie, le désarroi de tant de jeunes. Nous en avons, ici, la preuve quotidienne.
LUI. - Cette visite fut pour moi un premier choc. Et tout récemment je fus invité par une Cité Secours spécialisée dans l’accueil des femmes en détresse avec enfants à leur charge. Au début de la visite, j’ai admiré sans réserve cette réalisation. Le cadre forestier est remarquablement apaisant. Le bilan prouve les services réels rendus. Il y a un pourcentage important de logements procurés. Il y a une statistique positive d’emplois retrouvés. A première vue on est en face d’une réalisation réussie. En y regardant de plus près on découvre l’envers du décor. Au fur et à mesure de l’exposé de chaque cas, de chaque abandon, de chaque situation, on retrouve la même cause. Il ne s’agit pas d’une crise économique ou professionnelle : neuf fois sur dix il s’agit d’un foyer mal préparé, mal assorti. La famille est en péril.
Je lis beaucoup. J’ai la prétention de me tenir au courant de tous les événements. Et vos Cités viennent de me faire découvrir le drame des familles désunies.
Je ne m’étais jamais rendu compte jusqu’ici de cette terrible réalité.
Je suis tout bouleversé de ces découvertes.
MOI. - Vous ne faites que commencer. Allez chez les jeunes délinquants : vous découvrirez que 85 % sont issus de foyers dissociés. Interrogez les assistantes sociales. Elles vous feront l’interminable bilan des « cas » d’enfants ou de vieillards abandonnés par leur famille.
LUI. - A vous entendre, si les familles faisaient leur devoir, il n’y aurait pas besoin de tant d’organismes et de multiples services sociaux ?
MOI. - Exactement. Plus les années passent, plus les dossiers se répètent : refaites des familles solides, c’est la solution de cent problèmes.
LUI. - Alors, d’après vous le plus urgent, c’est de multiplier vos réalisations ?
MOI. - Non. Le plus urgent c’est de remonter à la cause, c’est de revaloriser la famille.
LUI. - Alors vous allez faire des conférences sur la famille ?
MOI. - Certainement pas. A chacun son métier. St Vincent de Paul n’était pas un conférencier. Mais avec sur les bras un bébé abandonné, il s’est présenté devant les dames de la Cour. Aujourd’hui, il se présenterait ainsi devant la télévision : les réalités parlent mieux que les conférenciers.
LUI. - Vos réalisations sont des remèdes, mais finalement elles dévoilent la source du mal.
Si je comprends bien, vous n’êtes donc point une paisible pharmacie distribuant des remèdes, mais un mécanisme prophétique posant des questions à toute l’opinion.
MOI. - Vous ne pouviez pas me faire de plus grand plaisir que par cette aimable définition...
LUI. - Je serai curieux de savoir depuis combien de temps vous avez agencé toute cette horlogerie pédagogique qui est une forme de l’action politique ?
MOI. - Nous n’avons rien agencé du tout. Nous essayons de servir les plus pauvres. A la vue de ce service certains font le même cheminement que vous : ils découvrent les réalités. Et cette découverte a plus de prix que toutes nos réalisations.
LUI. - J’imagine que les députés, avant de voter une loi sur le divorce ou sur l’avortement devraient passer 48 heures dans une de vos réalisations : ils comprendraient le prix d’un foyer uni.
MOI. - Non seulement les députés, mais aussi les électeurs. C’est le pays tout entier qui a besoin de réapprendre la famille véritable.
LUI. - Mais aujourd’hui qui donc en parle encore ?
MOI. - C’est justement pour rompre ce silence que nos portes sont ouvertes. Venez écouter ce message des enfants, ces pauvres, ces petits : ils crient pour la véritable famille.
Jean RODHAIN