1945-1976 : Trente ans d’existence
"1946-1976 : 30 ans d’existence", MSC, n°276, septembre 1976, pp.10-11.
1946-1976 : Trente ans d’existence
Un certain chagrin
Le 8 septembre 1946, l’Aumônerie des Prisonniers rassemblait à Lourdes près de 100.000 prisonniers arrivant de leurs camps. Devant tant de bonnes volontés rassemblées, certains proposèrent la création, par l’Aumônerie générale, d’un vaste mouvement catholique d’anciens prisonniers. Les listes étaient prêtes. J’ai causé à ces amis un certain chagrin en refusant absolument ce retour en arrière. Et nous avons fermé solennellement les portes de cette Aumônerie pour regarder les nouvelles misères de 1946 : les sinistrés, les déportés, les victimes de la guerre. Ce fut la création du Secours Catholique.
La phase épicière
On a essayé alors de faire face au plus urgent. On manquait de tout. Il fallait collecter à l’étranger du sucre et du tissu. Il fallait distribuer du lait et des médicaments. Une véritable fourmilière se mit au travail. Cela eut l’inconvénient de marquer le Secours Catholique d’un aspect distributeur. Cela eut l’avantage pédagogique d’éliminer les bavards et de former des équipes sur le tas par l’apprentissage du travail concret.
Ce souci du concret a marqué solidement le Secours dès la première heure.
Ceux qui attendaient
Dans le fichier diocésain on s’étonnait de voir le Secours Catholique totaliser tant d’inconnus. Ces inconnus n’avaient pas la vocation de militants. Et ils attendaient d’être embauchés au service de leurs frères. C’est toute la frange des chômeurs de la charité qui s’éveillaient peu à peu au partage. Il leur fallait l’occasion. Ils attendaient sans le dire l’heure de rendre service. Voilà pourquoi ils sont aujourd’hui plus de 900.000 cotisants...
L’explication
L’histoire des colis à distribuer aux sinistrés et prisonniers pouvait durer trois ans et se clore sur un bilan chiffré. Un point, c’est tout.
Or, trente ans après, la formule tient bon. Pourquoi donc cette persistance à une époque où tout s’effrite si rapidement ?
Parce que cette formule correspond à un besoin actuel qui n’existait pas il y a cinquante ans. Exactement comme les congés payés, comme l’automobile, comme la télévision.
Le public actuel a besoin, et il le sait, de mains pour traduire ce que son cœur ressent. Si le Secours Catholique n’existait pas, il surgirait un autre organisme auquel le public déléguerait sa confiance. Cela correspond non pas à l’entêtement d’un fondateur obtus, mais à un écho d’un désir populaire.
Une fermentation internationale
Aujourd’hui plus de 95 pays se sont dotés d’un « Secours » et le total forme une Caritas Internationale solidement établie. Il ne s’agit donc pas d’une simple initiative française, mais d’un besoin homologué par toute l’Église. Cela n’existait pas il y a trente ans. Les remous de l’après-guerre ont passé. Les réactions du Concile sont arrivées. Et la création de « Cor Unum » est venue confirmer la place de ces activités charitables enfin réhabilitées dans l’Église. Cela est évident à Rome. Mais sur le plan local ces progrès sont inégaux...
Une place dans la cité
Ce petit responsable de quartier distribuait exactement des colis aux vieillards. Il découvrit ainsi leurs misères. Il prit à cœur l’eau sur l’évier et les cas sociaux. Sa compétence le conduisit au Conseil municipal. Aujourd’hui il distribue moins, mais il obtient davantage. Un travail précis, une compétence sociale, un service continuel conduisent bien au-delà de l’aumône : cela forme finalement un réseau. Ce réseau doit une partie de son efficacité à un embrayage précis sur les services sociaux.
Une spécialité
Dans cette famille des 95 Caritas nationales, chacune a sa physionomie. Certaines, comme aux U.S.A., sont des instruments superpuissants. D’autres, comme en Allemagne, gèrent de multiples institutions hospitalières. En France, le Secours Catholique a choisi comme spécialité d’éveiller le public au partage. « Plutôt que de collecter 100.000 F, éveiller 100.000 cœurs. » Ce slogan marque un souci dominant de pédagogie.
Une période exceptionnelle
Pendant cette période de trente ans la famille du Secours Catholique a été entraînée dans des tourbillons extraordinaires. Les horreurs du Biafra et les coulisses du Concile. Les historiens remarqueront combien dans ce laps de temps sont survenus des éléments nouveaux pour saisir la notion de « prochain ». Il y a la télévision et l’avion qui rendent proches les antipodes. Il y a Vatican II. Il y a un tiers-monde qui n’était pas présent il y a trente ans. Nous avons eu l’avantage de vivre une période en survoltage. Cela devait faire surgir une diaconie adaptée à des temps nouveaux...
Un trésor secret
Si ce réseau existe, il existe avant tout grâce aux ouvriers de la première heure. Ils sont nombreux et inconnus ceux et celles qui, dans l’ombre de la prison, dans le silence des solitudes, dans le labyrinthe des bureaux, ont œuvré sans répit depuis trente ans. Il y a eu des erreurs et des tâtonnements. Mais, finalement, une image s’est dessinée grâce à de multiples petites réalisations. Si demain la terre tremble aux antipodes, mille concours nous arriveront aussitôt : cela est dû à un capital de confiance constitué par ces fourmis ignorées qui œuvrent sur le tas - sans discours - depuis trente ans. C’est un trésor inestimable...
Regarder vers demain
Trente ans. Vous me dites que c’est la tranche que vient de vivre le Secours Catholique.
Moi, je compte autrement : trente ans ajoutés à 1976, cela nous conduit à l’an 2006. Dans trente ans nous serons dans le XXI° siècle : c’est cela qui me saute aux yeux.
Nous serons loin des problèmes du XVII° siècle et loin des misères de 1976 : un monde différent réclamera un partage transformé. Le Secours Catholique a besoin de se préparer, de chercher, de prévoir. Regarder en avant. La justice sociale de demain, c’est la charité d’aujourd’hui.
Il ne s’agit donc pas de célébrer un anniversaire. Il s’agit de s’éveiller et d’inventer. La charité véritable se rajeunit sans cesse.
Mgr Jean RODHAIN.
Président du Secours Catholique.