Actualité vivante
"Actualité vivante", MSC, n°273, mai 1976, p.1.
Actualité vivante
Un lecteur nous demande si notre travail ne devient pas à la longue monotone ? Or c’est à cet instant précis que le vent du grand large vient nous rafraîchir de son air vif. De cette Amérique latine, par ailleurs si remplie de tensions et de contradictions, voici que parviennent deux échos réconfortants.
Il ne s’agit pas de phrases ou de palabres. Il s’agit de réalités concrètes et c’est pourquoi je vous les rapporte ici sans hésitation…
Au Guatemala parmi les conséquences cruelles du tremblement de terre figure au premier rang le long cortège des 40.000 orphelins qui ont perdu leurs familles sous les décombres.
Devant cet énorme problème les spécialistes calculent. Combien d’orphelinats faut-il construire ? Quel réseau d’adoption faut-il susciter ? Quelles collectes va-t-on organiser pour ces milliers d’enfants sans abri ?
Or tous ces spécialistes de bonne volonté ont fait fausse route. Il n’y a pas besoin d’un seul orphelinat ; en quelques jours ces 40.000 enfants ont été relogés. Dans quelles familles ? Dans les familles pauvres de « Campésinos » habitant les misérables villages en pisé et tuiles d’argile. Comme la bonne terre absorbe la pluie, la population survivante a absorbé aussitôt les orphelins. Ce n’est pas un tour de force de techniciens. C’est un geste du cœur. Un geste de pauvres.
Cela s’est passé au Guatemala, c’est-à-dire à 15.000 kilomètres de notre douce Ile de France. En écoutant le soir tranquillement au coin du feu les informations donnant le chiffre du dernier hold-up et le total des armements achetés par tel petit pays, voici donc enfin un chiffre qui nous donne un choc au cœur : 40.000 orphelins retrouvent un foyer en moins d’une semaine dans une des régions les plus misérables du monde.
Le Christ citait en exemple la minuscule obole déposée par la veuve à l’entrée du Temple : le geste exemplaire des paysans adoptant 40.000 orphelins n’est-il pas un témoignage qu’il présenterait à notre temps ?
Du Guatemala je passe au Chili. C’est un terrain brûlant, je le sais. Il est brûlant aussi pour l’action caritative. Organisé sur un plan œcuménique le « Comité pour la Paix » a œuvré efficacement au service des prisonniers politiques et de leurs familles. Il a été contraint par le gouvernement du Général Pinochet de disparaître. Aussitôt le Cardinal Silva Henriquez, Archevêque de Santiago, a suscité un « Vicariat à la Solidarité ». Ce nouvel organisme a hérité du Comité pour la Paix d’un fichier de 40.000 noms de personnes accueillies, de 6.500 dossiers de prisonniers, de 500 cantines pour enfants et de cent ateliers coopératifs. J’ai sous les yeux les premiers bilans de cette nouvelle entreprise de charité : on y souligne - à côté des dons extérieurs parvenus - l’importance primordiale de l’entraide spontanée de quartier et de voisinage. Et le rapport se termine par cette phrase étonnante : « L’Église a, une fois de plus, été enseignée par la générosité des pauvres » .
Voilà une phrase qui semble écrite en lettres de feu. L’Église du Chili que certains imaginaient drapée dans une splendeur espagnole, cette Église là se met publiquement à l’école des plus pauvres de ses fidèles.
Cette lueur rejoint exactement les clartés de ces enfants immédiatement adoptés au Guatemala. Quel contraste avec notre obsession du confort à n’importe quel prix. C’est le contraire de tous les discours bruyants du monde qui nous entoure. C’est le signe véritable d’un témoignage.
Jadis, à l’heure des tâtonnements de l’Église primitive, saint Paul dans chacune de ses épîtres citait les réalisations des chrétientés de Corinthe ou d’Ephèse. Aujourd’hui saint Paul interviendrait à la télévision pour citer l’épisode des 40.000 orphelins du Guatemala ou pour présenter cette chrétienté qui se fait enseigner par les pauvres…
Jean RODHAIN