Une certaine forme de secours
Jean RODHAIN, "Une certaine forme de "secours" ", Messages du Secours Catholique, n° 272, avril 1976, p. 1.
Une certaine forme de secours
Dans la pile du courrier arrivant ici à l’occasion de ce récent tremblement de terre, toutes les enveloppes contiennent un chèque. Sauf ce matin une seule enveloppe sans chèque : seulement une petite feuille de dix lignes promettant des prières pour les victimes. Ce message provient d’un Carmel que je connais bien et dont la pauvreté est évidente. Tout à l’heure notre comptable haussera les épaules : cet envoi ne peut figurer dans le bilan. Et cependant…
Et cependant, dans le bilan des Évangiles avez-vous remarqué la fréquence de ces miracles déclenchés à la suite d’une intervention priante provoquée tantôt par la famille, tantôt par des amis ?
A Capharnaüm, ce paralytique voit ses péchés effacés solennellement et ses membres raffermis subitement. Or il n’a pas prononcé une parole de demande. Mais ses quatre amis l’ont apporté sur un brancard, et l’ont présenté avec une telle insistance que « voyant leur foi » Jésus le guérit (Marc 5. 1-12).
Ce serviteur malade ne dit rien. Mais c’est le centurion qui plaide pour lui et obtient la guérison immédiate (Luc 7, 1-10).
Cette enfant ne parle plus. Mais c’est son père, Jaïre, le chef de la synagogue, qui intervient et déclenche le miracle (Luc 8, 40-56).
Cette fillette ne parlait pas. Sa mère, la Cananéenne, prie, insiste, et réussit à la faire bénéficier de la guérison totale (Marc 7, 24-30).
Lazare malade ne demande rien et meurt sans une plainte. Mais ce sont ses sœurs Marthe et Marie qui font venir le Seigneur et obtiennent pour leur frère un miraculeux retour à la vie (Jn 11, 1-46).
Les mariés de Cana ne songent pas à quêter pour leur cave trop tôt vidée. Mais Marie intercède et provoque le miracle du vin (Jn 2, 1-1).
Il y a donc, dans le mécanisme secret des interventions, place pour cette monnaie secrète qui est mystérieusement payante : la demande faite par la famille ou par les amis.
La prière d’un petit Carmel serait-elle finalement payante ?
Oui, je sais, l’arithmétique n’est pas absente de l’Evangile. Les marchands du Temple comptent les bénéfices de la journée. Les pharisiens calculent l’impôt exact que le Christ doit payer à César (Luc 20-23). Les Apôtres dénombrent les cinq mille hommes affamés et recensent les cinq pains et les deux poissons disponibles dans la corbeille du gamin (Jn 6, 8-10), Judas compte ses 30 deniers (Matt. 27, 3-10). Et Nicodème estime qu’il lui faut cent livres d’aromates pour embaumer le Crucifié (Jn 15-39). Les chiffres ne manquent pas dans les versets de l’Ecriture. Les dénombrements sont précis...
Et pendant que tous ces gens comptent et recomptent, le Christ compte autrement : il surgit vivant du tombeau à l’exact troisième jour. Mais il pénètre partout « les portes étant fermées » (Jn 20-19). Et il parait éclatant de vie et de gloire : il est hors de nos centimètres et de nos trois dimensions : « Mon royaume n’est pas de ce monde ». Il est en dehors de nos comptages et au-delà de nos calculations. C’est Celui qui exauçait Jaïre pour sa fille et sortait du tombeau Lazare pour le rendre à Marthe, sa sœur. C’est Celui qui écoute Marie plaidant pour les mariés de Cana. C’est Celui qui écoute une poignée de carmélites en prières.
La prière d’intervention, la demande d’intercession, cela n’est pas coté en Bourse. Mais cela existe. C’est une monnaie mystérieuse qui a cours hors de toutes les banques. C’est la plus haute forme du « secours ». C’est une monnaie qui ne connaît pas de dévaluation.
Je l’oublie trop souvent.
A la lumière aveuglante de Pâques, devant ce Christ vivant pour l’éternité, je suis bien forcé d’en convenir..
Jean RODHAIN.