Mgr Jean VILNET, son ancien évêque
Intervention de Mgr Vilnet le 19 juin 1984 pour la présentation du livre Jean Rodhain prêtre, tome 2.
Intervention de Mgr Vilnet le 19 juin 1984 pour la présentation du livre Jean Rodhain prêtre, tome 2.
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, je ne savais pas que je devrais prendre la parole et j’ai presque scrupule à la prendre moi même en ajoutant quelques unes de mes paroles à celles qui viennent d’être prononcées et pour parler d’un grand silencieux.
Je pense que c’est à l’ancien évêque de Saint-Dié que l’on a fait appel ce soir. Pendant une quinzaine d’années j’ai été canoniquement l’évêque de Mgr Rodhain. Je vais dans un instant m’expliquer à ce sujet, mais permettez moi aussi de dire qu’un des biographes de Mgr Rodhain, celui que nous venons d’entendre, a été lui aussi, pendant toutes mes années où j’étais à Saint-Dié, dépendant de l’évêque de Saint-Dié, après que nous ayons été naguère collègues ensemble au séminaire. C’est pourquoi tout ce qu’a pu découvrir et écrire le Père Colson sur le Père Rodhain m’a d’autant plus intéressé. Il a été le biographe de deux grands personnages du diocèse de Saint-Dié : Jeanne d’Arc, dont il m’a révélé beaucoup de choses, et puis un autre grand homme, puisque Jeanne d’Arc faisait partie des grands hommes du diocèse de Saint-Dié, un autre grand homme le Père Rodhain. Mais, j’ajouterai aux notes concrètes de la biographie si développée de Mgr Rodhain, aux deux tomes, deux souvenirs personnels, épisodes pourrait on dire.
Chaque fois que je venais dans cette maison, logeant souvent ici, je célébrais comme je le fais encore maintenant la messe matinale dans la chapelle, qui pour moi est toujours une chapelle Rodhain. Comment ne pourrions nous pas ne pas se souvenir du "style Rodhain", tel que j’en avais vu les premières traces dans la première église dont il fut le Curé à Mandres-sur-Vair. L’évolution du "style Rodhain" marque quand même des constantes, mais ce n’est pas de ce style là que je veux parler. En général lorsque je sortais de la messe pour aller prendre le petit déjeuner soigneusement préparé par les religieuses pour les prêtres pensionnaires d’une nuit dans cette maison, par un petit mystère dont j’ignore la source, Mgr Rodhain savait que j’étais là. Et, au fil des années, j’ai compris ce que signifiait, de sa part, de modifier son horaire et de sortir de son silence pour venir s’asseoir à côté de son évêque pour l’accompagner au petit déjeuner. Je ne dis pas que les conversations ont été longues et développées, mais nous parlions du diocèse et il me parlait en général des prêtres qu’il avait connus et de ceux qui étaient le plus en difficulté. Il venait en même temps, par ce geste, j’allais presque dire faire hommage canonique à son évêque, et j’ai au fil des années mieux compris ce que signifiait spirituellement cette démarche du petit déjeuner de Mgr Rodhain partagé avec son évêque.
L’autre souvenir, l’autre épisode qui n’a eu que deux témoins, c’était dans la petite chapelle de l’évêché d’Épinal, lorsque l’année des cinquante ans de sacerdoce de Mgr Rodhain, il a accepté de répondre à mon invitation : "Père Rodhain, quand vous passerez dans les Vosges, venez donc célébrer votre jubilé de sacerdoce, dans l’intimité de la chapelle de l’évêché." Il avait accepté cette invitation, déjà très ému. La façon dont il a célébré, avec le secrétaire de l’évêché et moi même, m’a révélé ce jour là beaucoup de choses que je n’avais pas encore comprises, car franchir la façade de sa personnalité n’était pas si facile. J’ai compris ce jour là ce que représentait pour lui la célébration de l’Eucharistie, acte spirituel en même temps qu’acte ecclésial, d’une très grande importance pour lui. J’ai mesuré aussi la sensibilité de son cœur, l’émotion dont la cause était double, je crois. Célébrer cinquante ans de sacerdoce, il en pleurait et célébrer ses cinquante ans de sacerdoce dans la plus stricte intimité, si j’ose employer cette expression, avec son évêque, il en pleurait. En même temps d’ailleurs qu’il se tenait courbé à l’autel, essoufflé comme un vieillard, un grand vieillard à bout de souffle. L’instant d’après, cette célébration étant terminée, Mgr Rodhain redevenait droit comme un sapin des Vosges, visage d’aigle, les yeux, le regard passant par dessus son interlocuteur, rentrant dans cette espèce de silence impressionnant. Mais quelque chose de ce qui était sa vie quotidienne, physique et spirituelle, m’était apparu dans cette célébration et ce jour là, je le répète, j’ai mieux compris quel travail intérieur de la grâce avait peu a peu pétri, modelé, décapé le cœur sacerdotal de Mgr Rodhain.
Puisque j’évoque des souvenirs, j’irai jusqu’au bout. Chaque matin, lorsqu’il m’est donné de venir à nouveau dans cette chapelle, pour célébrer, je m’arrête un instant devant le cadre qui est accroché juste avant l’entrée de la chapelle où est le fac-similé, je ne pense pas que ce soit l’original, de ce double "Je vous salue Marie" où l’on retrouve la graphie étonnante de Mgr Rodhain, en même temps que tremblante et où l’on peut lire et deviner ce qu’a été sa dernière méditation mariale avant d’aller voir face à face Celui dont la Charité, Jésus Christ, avait envahi tout son cœur. Voilà ce que Je voulais ce soir partager. Je ne sais pas si j’ai ajouté quoi que ce soit la biographie précise, copieuse et complète des deux auteurs, mais pour moi, ce sont les quelques notices supplémentaires que j’y accrocherai toujours.