Dans le contexte socio-culturel du XXI° siècle, comment comprendre l’affirmation de la Première lettre de saint Jean : Dieu est amour
Dans le contexte socio-culturel du XXI° siècle, comment comprendre l’affirmation de la Première lettre de saint Jean :
Dieu est amour
Ὁ Θεὸς ἀγάπη ẻστιν (1 Jn 4, 16a).
La visée de cette brève présentation était de situer le rapport entre une « définition » du Dieu des chrétiens portant spontanément à l’expérience spirituelle personnelle (philia) et sa dimension communautaire et sociale (agapè, le terme utilisé dans l’affirmation « Dieu est amour »), avec la reconnaissance de sa dimension mystique (éros), parfois oubliée dans le champ d’activités sociales et politiques dont ne saurait se distraire la DSE.
1 A partir des observations de Michel Dagras
Cette affirmation johannique a été choisie par le pape Benoît XVI pour titrer sa première encyclique : DEUS CARITAS EST (25 décembre 2005).
Sa date d’écriture et de parution l’inscrit dans le contexte socio-culturel du XXI° siècle.
Son message paraît donc des plus pertinents pour présenter aujourd’hui le mystère de Dieu – amour dans et pour le monde actuel.
L’unité de l’Amour
Le terme « amour » est devenu aujourd’hui un des mots les plus utilisés et aussi un des mots les plus galvaudés, un mot auquel nous donnons des acceptions totalement différentes (2). des sentiments les plus débridés aux dévouements extrêmes du don de soi.
Une première attention est donc à porter sur les langages sous-jacents à ce terme devenu une sorte de mot valise !
La 1° partie de l’encyclique (L’unité de l’amour dans la Création et dans l’Histoire du Salut) conduit ainsi à distinguer :
- L’amour entre l’homme et la femme … comme l’archétype de l’amour par excellence (2). Son expérience unifie les formes d’amour qui suivent.
- Philia, amour d’amitié. Le Nouveau Testament l’emploie pour exprimer le rapport entre Jésus et ses disciples (3).
- Agapè, privilégié dans les écrits néotestamentaires alors qu’il était plutôt marginal dans la langue grecque. Il souligne la convivialité autour d’une même table, un partage commun puisant à une même source de vie.
- Eros, inconnu dans les Évangiles (deux fois seulement dans l’Ancien Testament grec). Il connote l’ivresse, le dépassement de la raison, provenant d’une « folie divine » qui arrache l’homme à la finitude de son existence et … lui permet de faire l’expérience de la plus haute béatitude (4). Composante mystique de l’amour, aux antipodes d’un eros rabaissé simplement au « sexe » (et devenu) une marchandise, une simple chose que l’on peut acheter et vendre (5).
L’encyclique en vient ainsi à parler de l’éros de Dieu (10), folie divine d’un amour qui pardonne … si grand qu’il retourne Dieu contre lui-même, son amour contre sa justice (10), ce qu’exprime à l’extrême la folie de la Croix (12).
Ouverture vers la doctrine sociale de l’Église
Un passage de Saint Jean prend ici valeur de source (Jn.21, 15-19).
Jésus rencontre Pierre qui l’avant veille l’avait renié :
- Simon … m’aimes-tu plus que ceux-ci (agapas me)
- Oui … tu sais que je t’aime (philo se) – Fais paître mes agneaux.
- Simon … m’aimes-tu (agapas me)
- Oui … tu sais que je t’aime (philo se) – Sois berger de mes moutons..
- Simon … m’aimes-tu (phileis me).
- Oui … tu sais que je t’aime (philo se) - Fais paître mes moutons.
Ce dialogue émouvant voit sans cesse Jésus inviter à passer d’un amour interpersonnel philia à un amour de nature communautaire, agapè. Même lorsqu’il rejoint Pierre sur le terrain de son amour personnel, contrepoint répété de sa trahison, la mission de prendre soin du troupeau revient comme un refrain qui ouvre sur la mission communautaire et par là sociale de l’Église.
L’exercice de l’amour de la part de l’Église en tant que « communauté d’amour »
Ainsi s’intitule la 2°partie de l’encyclique.
Les sous titres ouvrent directement sur les fondements de la DSE :
- La charité comme tâche de l’Église (20-25).
- Justice et charité (26-29).
- Structures du service caritatif dans le contexte social actuel (30).
- Profil spécifique de l’activité caritative de l’Église (31).
- Responsables de l’activité caritative de l’Église.
Un ensemble à reconnaître et à mettre en valeur chaque fois que l’on se tourne vers les fondements de la DSE.
2. L'amour vivant de Dieu, rend l'homme de plus en plus vivant, Réflexions de Tanguy Marie Pouliquen
- L'idée transversale est la suivante : Si Dieu est amour, c'est donc que l'homme créé à l'image de Dieu est fait pour l'amour, perspective que l'on peut comprendre sous la forme d'une dynamique intégrale du don, que j'appelle personnification intégrale. Dieu veut notre bien intégral d'où le terme de "personnification intégrale". L'amour vivant de Dieu, rend l'homme de plus en plus vivant.
- En langage existentiel cela veut dire essentiellement cela :
La personnification intégrale se comprend par l'intensification de la dynamique de l'être et existentiellement selon le don de la vie (à recevoir, à intégrer, à redonner, à partager), dynamique de formation permanente de la personne (docibilitas) en raison d'une bonne vulnérabilité (Ide, "Vulnérabilité positive"), malléabilité de la personne qui se construit en s'unifiant pour unifier (Pouliquen, 2014).
Le don de la vie est d'abord à recevoir. Le don de la vie nous précède, c’est le plan transcendant, ouvert à une origine, à une vie donnée. L'homme reçoit gratuitement sa vie d'abord de l'origine de la vie, de ses parents, de la société, de l'environnement. La personne est faite pour accueillir la vie et la remercier. Le lieu originé de la vie convoque à la gratitude devant un tel don.
Le don de la vie est à unifier à toute l'existence de la personne. Ici chacun est appelé à se réaliser soi-même, à développer ses capacités personnelles, à fortifier sa vie en affirmant sa liberté à partir des dons reçus, là où la quête de plénitude (le dernier Maslow, 1971) meut le dynamisme d'intégration (K. Wojtyla, 1969). C’est le plan anthropologique. Le sujet personne devient ce qu'il décide. Il est en s'engageant à partir de la vie donnée, donc sans stimuler La vertu de l'égoïsme (Ayn Rand, 2008).
Le don de la vie est à redonner. La vie traverse la personne en la donnant. C’est la dimension spécifiquement éthique. Sans nécessité de "contre don" (Mauss, 1924), et donc de contrat basée sur la réciprocité, mais plutôt de l'importance d'un entre d'eux relationnel des deux - de donation - l'homme se trouve lui-même en sortant de lui-même, en se donnant à autrui sincèrement. Il s'actualise en donnant ce qu'il a reçu. Donner la vie donne... la vie. Le don gratuit se transforme en dynamique gratifiante parce que relationnelle, c'est-à-dire en don gratuit de soi-même "pour" les autres, par expropriation de soi pour autrui. Portée par une double gratitude, la personne se rend "disponible" à autrui transformant ainsi l'anonymat de son moi en un je personnel et solidaire qui est engagement "pour lui".
Servir la communion entre les hommes finalise le don de la vie. L'homme trouve sa perfection dans le bien commun au creuset de relations circulaires, des échanges de dons qualifiants qu'il suscite. Toute véritable personnification intégrale est communautaire. La communion est le but de la personnification, en construisant un "je-tu-nous" (Ulrich, 1974) qui requiert des critères pratiques. Le "nous communautaire" n’est pas la somme d’individualités anonymes mais de personnes uniques qui sont responsables ensemble de la construction de la commune unité. La communauté se forme par les liens d’amour, échange de dons gratuits, qui ne sont pas seulement des liens sympathiques partageant une affinité de nature, mais des liens d’amour concrétisés par des gestes. Plus la vie sera reçue à sa racine - accueillie comme un don gratuit -, plus elle sera partagée gratuitement selon une circulation de dons générant une vraie fraternité. C’est pourquoi la communauté elle-même "aspire à s’ériger en personne" (Mounier, 1934), elle qui est une personne de personnes.