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Colloque 2018 : L'hospitalité dans la doctrine sociale de l'Eglise

12 février 2018
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Colloque de la Fondation Jean Rodhain

26 - 28 janvier 2018

Hospitalité et identités fragilisées

L'hospitalité dans la doctrine sociale de l’Église

Sr Hélène Noisette, Auxiliatrice, Ceras

L'hospitalité est peu thématisée dans la pensée sociale de l’Église. On ne trouve nulle entrée pour ce mot dans l'index du Compendium de la doctrine sociale de l’Église. Et pourtant, cette valeur est régulièrement mentionnée dans les textes magistériels. Elle est rappelée comme une vertu des familles qui s'ouvrent à autrui, dans l'accueil d'enfants comme de tout homme dans le besoin. Elle est sollicitée pour recevoir l'étranger comme un hôte, que celui-ci soit migrant, pèlerin ou touriste de passage. Elle doit enfin caractériser l'attitude des chrétiens entre eux, au-delà de leurs appartenances confessionnelles.

Cette notion est davantage développée dans les textes sur les migrations. Aussi, explorerons-nous d’abord ce que l’Église dit de l'accueil des migrants. A partir de quoi, des intuitions se dessineront pour promouvoir l'hospitalité envers tous.

  1. le défi de l'accueil des migrants

De nombreux textes abordent la question de l'accueil des migrants, au niveau du magistère universel ou, au niveau plus local, dans les prises de positions des évêques. Ils manifestent comment la pensée sociale de l’Église se construit en aller-retour entre les réflexions de terrain et une parole plus normative. Elle demeure une parole en construction, tout en offrant quelques critères de discernement permanents.

Quels sont ces critères ? Quelles orientations nous donnent-ils pour relever le défi de l'accueil de l'étranger?

Un droit de migrer qui ne peut être limité que par des raisons graves

Le premier critère est l'existence d'un droit de migrer que l’Église ne cesse d'affirmer depuis Exsul Familia (EF), le premier grand texte pontifical sur les migrations, en 1952. Elle reconnaît donc aussi un devoir d'accueil de la part des États, sans nier pour autant leur légitimité à limiter les entrées sur leur territoire dans certaines circonstances. Des limites cependant qui ne se justifient que pour des « motifs à peser avec le plus grand scrupule » (EF 78).

Les textes successifs vont préciser ces motifs, dans une perspective de plus en plus universelle. Si Exsul Familia parlait de raisons relevant de « l'utilité publique » (EF 78), il sera ensuite constamment indiqué que seuls des motifs relatifs au « bien commun » sont acceptables (cf l'instruction De Pastoralis Migratorum Cura, DPMC 1, 1969).

Jean-Paul II ira plus loin encore, affirmant que « le critère pour déterminer la limite du supportable » doit prendre en compte « les besoins réels de ceux qui sont contraints de façon dramatique à demander l'hospitalité » (Message pour la Journée Mondiale du Migrant, MJMM 1993) et le bien des pays de départ (cf Laborem Exercens, LE 23). Il invitera ensuite, dans son Message de 2001, puis dans Ecclesia in Europa (Eeu, 101) en 2003, à penser le bien commun au niveau universel, en « embrassant les exigences de toute la famille humaine ». Pour Benoît XVI, de même, les États ne peuvent dissocier le bien de leur peuple « des exigences et droits des personnes et des familles émigrées » (Caritas in Veritate, CV 62).

Aussi, les papes appellent-ils de leurs vœux l'élaboration de politiques migratoires internationales (CV 62), pour favoriser des approches globales qu'un gouvernement isolé ne saurait promouvoir.

En attendant, l'idée de bien commun universel justifie, par exemple, le refus de l'immigration choisie, qui conduit à une perte illégitime pour les pays de départ.

L’Église affirme tout aussi fort que l'accueil ne devrait pas se limiter aux seuls réfugiés politiques. Dépassant la Convention de Genève, le Conseil Pontifical Cor Unum et celui pour la pastorale des migrants reconnaissent des réfugiés « de facto » en tous ceux qui migrent involontairement à cause de « conflits armés, politique économique erronée ou de catastrophes naturelles » (Les réfugiés, un appel à la solidarité, RAS 4). Ils demandent encore que tous les migrants dits « économiques » ne soient pas considérés de la même manière : certaines conditions socio-économiques nuisent à la vie même des personnes qui ont dès lors le droit d'être accueillies là où elles espèrent « trouver des conditions de vie plus convenables » (PT 106 ; cf aussi le Catéchisme de l’Église catholique, CEC 2241). Ce droit est la traduction du principe de la destination universelle des biens, principe d'orientation de la pensée sociale de l’Église qui reconnaît que la terre a été donnée par Dieu et que « les biens de la Création doivent équitablement affluer entre les mains de tous » (GS 69).

C'est bien sûr le cas aujourd'hui des migrants climatiques. Ne sont-ils pas de nouveaux réfugiés, « portant le poids de leur vie à la dérive sans aucune reconnaissance légale » (Laudato Si', LS 25) ?

Du droit (aussi) de ne pas migrer à la reconnaissance des migrations comme phénomène providentiel

Tout en affirmant le droit de migrer, l’Église est très consciente des souffrances que les migrations engendrent pour ceux qui sont ainsi déracinés et de la perte qu'elles représentent pour les régions de départ. Les textes magistériels insistent donc tout autant sur le droit pour tout homme de vivre dans son pays (par exemple PT 102) et sur la nécessité, en conséquence, d'une véritable politique de coopération internationale.

Cependant, ces textes témoignent toujours d'une vision positive des migrations. Les rencontres qu'elles favorisent rappellent que l'humanité est « une seule famille ». Elles peuvent préfigurer « la rencontre finale de toute l'humanité avec Dieu et en Dieu » (Erga Migrantes Caritas Christi, EMCC 17). Elles sont signes du salut comme rassemblement que Dieu promet et opère déjà en son Église (cf DPMC 2).

De plus, les migrants apportent avec eux non seulement une contribution économique considérable mais aussi une richesse culturelle (EEu 2). Reconnaître leur patrimoine humain aidera à ne pas chercher à les « assimiler » à la culture nationale, ni à se résigner simplement à la coexistence des cultures différentes, mais à promouvoir une véritable intégration, fondée sur la « fécondation réciproque des cultures » (MJMM 2005, 2-3). Cette intégration supposera, du côté des migrants, le respect de la culture et des lois du pays d'arrivée (CEC 2241).

La dignité de tout migrant

Une autre constante du discours de l’Église sur les migrants est l'affirmation de leur dignité absolue. Quelle que soit leur situation, régulière ou non, ils bénéficient de droits inaliénables.

Ainsi, il est toujours légitime de leur assurer les « moyens de subsistance nécessaire », sans préjuger du droit de l’État de les accueillir ou non à long terme. Quand il en va de la vie des personnes, les critères de l'action à poser ne sont pas à rechercher « dans les limites imposées par la loi, mais dans l'optique de la solidarité » (MJMM 1996, 3 et 5). Voilà une parole forte qui demande d’être entendue, aujourd'hui, à Calais ou ailleurs.

Cette dignité exige de même la non-discrimination des travailleurs immigrés dans l'accès au travail ou au logement, ainsi que le refus des lois qui nient leur droit à vivre en famille, en restreignant les possibilités de regroupement familial.

  1. L'hospitalité : une attitude chrétienne qui va au-delà de l'aide

Ce bref parcours a souligné combien l’Église perçoit d'abord les migrants comme une richesse. C'est pourquoi elle invite, au-delà de l'aide administrative et sociale, à promouvoir l'hospitalité et « une véritable culture de l'accueil » (EMCC 39, EEu 101) ou, pour le dire avec les mots du pape François, « une culture de la rencontre dans laquelle l'on est disposé, non seulement à donner, mais aussi à recevoir de l'autre » (MJMM 2016). L'hôte n'est-il pas à la fois celui qui accueille et celui qui est accueilli ?

Cette attitude d'hospitalité s'élargit aisément à l'accueil de tous les laissés pour compte de nos sociétés et dessine un rôle particulier pour les chrétiens. Ils reconnaissent en effet dans le migrant, comme dans toute personne vulnérable, celui qui « brise la logique du quotidien » et porte la chance d'une ouverture à Dieu (EMCC 101) et d'une bénédiction. Ils voient en eux « le sacrement de la présence du Christ » qui s'est identifié au plus petit (EMCC 14-15). Héritiers d'un peuple nomade, qui a appris de son expérience l'exigence d'aimer l'étranger (Lv 19,34), et disciples d'un Maître itinérant, ils se considèrent comme des « paroikoi », de passage sur cette terre (EMCC 16). Aussi, pour eux, « personne n'est étranger dans la communauté chrétienne » (MJMM 2017) et l'accueil fait partie de leur histoire et de leur identité. L'hospitalité bénédictine, la tradition des églises-refuges, celles des congrégations hospitalières, en témoignent et invitent les disciples du Christ à en inventer aujourd'hui les nouvelles modalités.

La réflexion sur l'accueil du migrant ouvre des pistes pour l'intégration de toute personne. Certaines communes qui ont accueilli des migrants ont enfin entendu, à ce moment, la demande de personnes en précarité. Au lieu de dresser les uns contre les autres, elles ont su profiter de la mobilisation des habitants pour étendre leurs dispositifs d'aide à ceux qu'elles avaient oubliés. En prenant soin de ceux qui arrivent, il pourrait nous être offert une « occasion favorable » de penser à frais nouveaux une société plus hospitalière à l'égard de tous.

    Cf par exemple Evangelium Vitae 26 ou Amoris Laetitia 324.

    Dans son discours au VIIème congrès de l'association internationale de l'hôtellerie en 1954, Pie XII mentionnait « les traditions de l'hospitalité » et le « caractère sacré » du voyageur, invitant les hôteliers, à reconnaître dans « l'arrivée d'un inconnu qui se confie à [eux] », « un engagement réciproque, qui dépasse de loin la portée d'un service purement matériel ».

    Plusieurs messages pontificaux pour la Semaine pour l'unité des chrétiens soulignent la fécondité de l'hospitalité entre Églises et la nécessité d'ouvrir les portes des églises existantes aux chrétiens sans lieux de culte.

    Cet article doit beaucoup à C. Mellon, Migrations, juin 2017 (article en ligne sur le site doctrine-sociale-catholique.fr) et G. Catta, « L'enseignement social de l’Église au défi de l'hospitalité », in N'oubliez pas l'hospitalité, Mediasèvres 2017

    Les évêques de France appelaient les chrétiens, à l'occasion de la Journée mondiale du Migrant 2018, à « se positionner plus spécifiquement sur le créneau de la convivialité »

 

Retrouvez ci-dessous en pièce-jointe le texte complet en version pdf.

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