Mathias NEBEL : La notion néotestamentaire de Diakonia
Dans la dernière livraison de la Revue d’éthique et de théologie morale, Mathias Nebel, chercheur de la chaire Jean-Rodhain de l’Institut Catholique de Paris, signe un article qui ouvre largement la compréhension de la diaconie. On en trouvera ci-dessous la conclusion.
NEBEL Mathias, « La notion néotestamentaire de Diakonia. Une difficile reconnaissance », Revue d’éthique et de théologie morale, n° 268, mars 2012, p. 79-102.
Conclusion, p. 101-102.
Cette réflexion nous paraît, en premier lieu, prévenir l’enfermement de la notion de diaconie dans un activisme en faveur du pauvre et du petit. L’engagement en faveur du petit et du pauvre passe par la souveraineté de Dieu sur l’histoire, son accomplissement en Christ et son partage aux hommes par grâce. Seule la notion de gouvernement de Dieu sur l’histoire donne sens à l’option préférentielle pour les pauvres. C’est une participation à ce gouvernement du Christ sur l’histoire qui fonde l’action sociale et caritative de l’Église. Dès lors, vouloir limiter la diaconie de l’Église à cette seule dimension non seulement réduit considérablement la portée et la puissance de la diaconie, mais de plus va irrémédiablement la couper de ce qui fait sa transcendance. Une diaconie unilatéralement focalisée sur le souci de justice envers le petit et le pauvre est une diaconie qui progressivement perdra sa spécificité chrétienne : d’abord avec la charité qui en est l’âme, puis avec la finalité qu’elle poursuit et donc la puissance de l’espérance qui la porte, et enfin elle se coupera de son moment kénotique ; le mouvement de la charité est dénié et crucifié avant d’être exalté et établi comme cœur de celui qui juge eschatologiquement. Le gouvernement de Dieu n’achève justice pour le petit et le pauvre qu’en ultime instance et de manière eschatologique. Et si notre temps est déjà l’eschaton commencé, si ce temps est déjà le temps du Royaume, s’il nous est imparti de participer à la puissance de ce gouvernement de Dieu qui établira toute justice, s’il nous est exigé d’une exigence absolue de reconnaître le visage du Christ dans celui du petit et du pauvre, tout ceci ne saurait faire oublier que nous sommes dans une position seconde, dans la position de diakon, et que le jugement qui établira l’universalité de la victoire du Christ est encore à venir.
[...]
Par ailleurs, cette étude redonne à la diaconie sa dimension politique, c’est-à-dire sa relation à l’acte de gouvernance du pouvoir. La diaconie est un appel à exercer le pouvoir social dont toute personne se voit peu ou prou investit selon un mode subsidiaire, comme participé en dernière instance de la souveraineté de Dieu sur l’histoire. Ceci implique qu’il dépend, ultimement, pour sa fécondité et son efficacité, de la grâce et qu’il est informé – sinon habituellement mais du moins ponctuellement – par la kénose et l’échec apparent. L’idéal de justice, le souci du pauvre, la poursuite du bien commun ont pour le chrétien la forme fondamentale de la diaconie. Or, une telle pratique subsidiaire du pouvoir n’est pas auto-évidente. Elle est au contraire difficile, tant est forte l’identification du pouvoir politique avec la personne qui le porte. Il est rapidement difficile de distinguer entre ma personne et ce pouvoir que j’exerce, difficile de croire toujours que le bien commun soit possible et distinct de ce que je veux ou nous voulons, difficile d’accepter que mon action se voie mise en échec ou détournée par des revendications mesquines ou injustes, il est surtout difficile d’accepter que la fécondité de ce que j’entreprends m’échappe et que par mes efforts passe le gouvernement de Dieu-le-Fils sur l’histoire. La diaconie évangélique nous oblige à redécouvrir la pratique du pouvoir comme un lieu d’évangélisation important.