Au soleil de décembre
Jean RODHAIN, « Au soleil de décembre », Messages du Secours Catholique, n° 125, décembre 1962, p. 1.
Au soleil de décembre
Du haut de ses deux ans, cet enfant-ci me regarde et je compte mes ans quand cet enfant blond et rose aura mon âge, il datera ses lettres de nouvel an de l'an 2013. Alors sur terre, Il y aura 10 milliards d'hommes, et moi, je ne serai plus de leur nombre : il ne me laisse pas tranquille, quand il me regarde, cet enfant rose et blond.
Inquiète de ses trop grands yeux trop blancs, sa mère le contemple, cet enfant : elle s'est gardée de la thalidomide ; absorber un tranquillisant, quel risque pour l'enfant ! Sa mère d'ailleurs, se gardera demain de le tranquilliser, cet enfant. Mère sucrante, maman gâteau, enfant gâté, homme gâteux. La vraie mère dit le vrai à son enfant, surtout si cela lui coûte à elle, et à lui : elle le contraint, elle prépare ainsi un homme pour demain. Imagine-t-on d'ailleurs un État qui ferait absorber des tranquillisants à l'opinion ? Des doses de thalidomide télévisée prépareraient des lendemains monstrueux aux foules ainsi tranquillisées... Tandis que le vrai jardinier ne tranquillise pas ses arbres : il les taille. Le grand apôtre Paul appelle les chrétiens d'alors « ses petits enfants ». A ses enfants - Paul ne les tranquillise pas - il envoie des épîtres inquiétantes. Il les réveille à coups de vérités sur eux, sur leur situation, et sur lui-même aussi. Il leur dit la vérité cruelle, justement parce qu'il les aime, ses enfants.
Dans le soleil de plus en plus rare de ce décembre, voici un autre Enfant qui va naître bientôt : cet Enfant-là ne tranquillisera personne.
Hérode, ce Prince, pour dormir tranquille supprimera cet Enfant qui le gêne. Mais Hérode travaille en série : et ces Innocents, il les massacre.
Cet Enfant qui va naître ne tranquillisera pas les siens : il inquiète ses parents par une absence à l'heure même où sa présence inquiète en leur Temple les Docteurs.
Cet enfant qui va naître ne laissera tranquilles les vendeurs du Temple, ni le prêtre, ni le lévite se détournant du blessé abandonné. Il inquiètera tour à tour le Gouverneur et la foule et Judas avant ses deniers et Pierre après sa chute, et tant d'autres, en secret, qui ne sont pas nommés.
Ici, les magasins déjà s’illuminent Pour sa naissance, et sur le calendrier sa date en rouge annonce la douce nuit du 25 décembre. Bougies allumées. Cantiques. Gâteaux. Dans les journaux de mode, articles évangéliques avec signature célèbre. Le décor est en place. Pour cet Enfant-là qui va naître, on prépare le sapin doré. Mais Il a déjà choisi un autre bois et d'autres clous. Car cet Enfant-là nous regarde avec une insistance qui dépasse le décor et se passe des décors.
Car il va naître et paraître cet Enfant dans cette nuit d'un monde tranquille et endormi. Ceux qui préparent leurs lourdes bombes et leurs petites batailles, cet Enfant-là les regarde. Ceux qui endorment les pays aussi. Et ceux qui conservent trop de blé. Et ceux qui gardent trop de terres. Et ceux qui veulent être tranquilles.
Ce n'est pas un enfant comme les autres que Celui qui va naître et paraître dans cette nuit du monde tranquille endormi : Enfant de vérité. Le vrai. Parole de vérité. Le Verbe. Le Verbe fait chair.
Ce n’est pas un regard d'enfant seulement qui nous perce chacun à ce point, et cherche les pauvres et les pacifiques. « Paix aux hommes de bonne volonté. » Je le sais. Je le crois, en ce Noël 1962 cet Enfant-là, c'est la présence, la véritable et douce présence du Seigneur Lui-Même.
Mgr Jean RODHAIN.