Voici l’heure de donner
Jean RODHAIN, « Voici l'heure de donner », Messages du Secours Catholique, n° 135, novembre 1963, p. 1.[1]
Voici l’heure de donner
Le trésorier : voici le jour et l'heure de l'échéance : 17 novembre. Et je suis bien forcé d'avouer - chiffres en main - que cela tient. Les commissaires aux comptes viennent de la ratifier : la gestion est saine, les frais généraux sont normaux. Mais je reste inquiet. Ce portefeuille vide sans aucun titre de rente, cette trésorerie alimentée par l'échéance d'un seul jour, cette énorme entreprise ne vivant que par des dons spontanés : cela ne ressemble ni à une administration, ni à une banque.
Le juge : Deo Gratias. Maudit serait ce Secours s'il ressemblait à une banque. Plantée dans un coffre-fort, la fleur de la charité se fanerait aussitôt. Je prendrais des cordes, comme pour les marchands du Temple, si la Cité Secours de Lourdes cessait un seul jour d'être gratuite.
L’historien : Tout de même Seigneur, dans les siècles passés les institutions charitables savaient être prudentes.
- Au 13ème siècle, pour pouvoir accueillir les pauvres, l'hôtellerie du couvent possédait des greniers à blé, et des vignobles et des forêts, et des revenus.
- Au 19ème siècle, toute Bonne Œuvre détenait en portefeuille des obligations dont les coupons permettaient de faire face aux distributions.
Tandis que ce SeCourS qui s'obstine à ne tabler que sur son réseau de 540.000 lecteurs...
Le juge : Au 19ème siècle, un particulier touchant sa rente donnait un consentement muet mais actif à une entreprise capitaliste dont il ne savait pas si les salaires étaient de justes salaires. La Charité n'a pas à tremper dans de telles responsabilités anonymes...
Que le Secours Catholique soit une aventure, c'est évident. Mais ce que vous appelez réseau, c'est la communauté. Cette foule qui participe à la Charité, c'est le retour à la Communauté Chrétienne primitive...
L'abonné : Somme toute, nous sommes en train de « décoloniser la Charité »[2]. On réhabilité le geste personnel. On revient à l'obole de la veuve. Elle déliait (car il y avait un lien) les cordons (car il y avait un cordon) de sa bourse (elle était en cuir).
Aujourd'hui, on sort son crayon à bille et on remplit les blancs d'un C.C.P. (5620-09 Paris). La formule change mais le geste demeure. Et avec ces gestes multipliés, peu à peu on revient vers la Charité véritable. Et l'Église des pauvres, on la construit ainsi, pierre par pierre.
Le juge : ce n'est pas si simple. L'Église n'est pas en pierre. Elle est vivante. Et elle est aussi un mystère.
Vous portez votre obole, c'est bien. Mais c'est un Autre qui fait lever le grain.
Le lys des champs est un mystère : aucune cornue de vos chimistes n'en fera s'épanouir un seul à l'heure de la rosée.
C'est l'Esprit de Dieu qui agit dans le grain de sénevé comme dans le secret des cœurs. L'Église des Pauvres, vous ne saurez la bâtir en un an, ni la régler en un jour.
Ayez assez de charité envers vous-même pour rester l’âme en paix, mais souvenez-vous : finalement, vous serez tous jugés sur la Charité.