Quelle chance pour vous…
Jean RODHAIN, « Quelle chance pour vous », Messages du Secours Catholique, n° 128, mars 1963, p. 20.
Quelle chance pour vous…
Abisag avait exactement votre âge. Neveu de Noé, il eut le privilège, grimpé sur le toit de l'arche, de voir le premier l'arc en ciel et le premier le rameau d'olivier rapporté par la colombe. Et, sitôt débarqué il fut le premier aussi, avec son chien gambadant, à partir vers la découverte des terres nouvellement émergées. Quelle chance pour lui !
Alvarez avait aussi votre âge exactement. Petit neveu de Christophe Colomb, il assista au retour de l'oncle triomphant. Escaladant aussitôt la caravelle aux mâtures fatiguées, il fut le premier à toucher à l'or, aux pierreries, aux étranges fruits du Nouveau Monde découvert. Quelle chance pour lui !
Et quelle chance pour vous, qui, à votre age, assistez à la découverte de l'atome et au dévoilement des richesses nucléaires. Vous êtes les premiers depuis mille siècles à dépasser le cent à l'heure sur la route et le mille à l'heure dans les nues. Vous êtes les premiers à pénétrer dans ce monde nouveau avec le Spoutnick et le Telstar : vous toucherez aux astres avant que votre père ait les cheveux blancs.
Quelle chance pour vous que ces découvertes ne soient pas des objets de musée. La moderne Caravelle n'est pas dans une vitrine : vous vous en servez pour aller en Egypte. Vous touchez à l'Afrique en quatre heures. Vous êtes les premiers à pouvoir déguster à midi un poisson péché la veille au Sénégal. Mais aussi à pouvoir livrer le soir même un médicament au malade qui vous le réclamait depuis son lointain Tchad.
L'aumône est au musée, mais la Charité reparaît rajeunie, adaptée : une Charité de votre âge, l'âge atomique.
Au musée historique de Strasbourg, allez voir la marmite de Zurich. Les bombardements l'ont cabossée, mais elle reste une relique. En 1643 dans leur ville dévastée, les bourgeois de Strasbourg virent arriver un étrange bateau descendant du Rhin. Chargé de secours, ce bateau avait sur le pont une marmite fumante. Soulevant son couvercle les notables de Zurich tinrent un discours légendaire : « Sachez, gens de Strasbourg, que nos secours pour vous seront toujours si rapides, que nous arriverons à vos côtés avant que cette marmite, chaude à Zurich, n’ait eu le temps de refroidir. »
« Co », cela veut dire « avec ». Co-pain cela veut dire l'amitié de ceux avec qui on partage le pain. La moitié de la mappemonde a faim.
En 1963, vous avez mieux que la barque sur le Rhin. Vous avez la vitesse du Boeing. Vous avez la chance de pouvoir partager loin et de pouvoir partager vite. Quelle chance pour vous.
Sidoine