Un Concile discutable
Jean RODHAIN, « Un concile discutable », La France catholique, 20 novembre 1964.
Mgr RODHAIN :
Un Concile discutable
« Les bruits qui parviennent du Concile prouvent combien en son sein la division est profonde. Ce ne sont pas les communiqués officiels qui réussiront à masquer la tension entre deux tendances désormais évidentes. La longue intervention, hier matin, d'une des voix les plus autorisées, a été durement ressentie par le néfaste entourage de scribes qui forme encore un écran entre le Pape et ces laïques maintenant parvenus à l'âge adulte. »
Cette citation, devinez à quel journal je l'emprunte ?
Je la recopie textuellement, mot à mot, dans un hebdomadaire paraissant chaque sabbat depuis l'ouverture du Concile de Jérusalem. Cet hebdomadaire est imaginaire, bien sûr, mais ce qu'il écrit est rigoureusement exact. Lisez les Actes des Apôtres, chapitre XV, verset 1 à 35. Les éclats de voix de Paul ont été durement ressentis par les disciples de Pierre, premier pape. Pendant ce premier Concile de Jérusalem, la division était si profonde que Paul et ses évêques, faisant figure d’opposants, comparaissaient au Concile comme devant un tribunal.
Une chaîne de télé-nouvelles
De Béthanie à Siloë, une chaîne de télé-nouvelles assurait la retransmission des bruits de cénacles, de leurs « discordes et vives discussions »[1]. Ces bruits étaient fondés. Ces nouvelles étaient exactes. Elles décontenançaient, à juste titre, les disciples laïcs qui venaient déjà d'en voir de « raides » depuis que l'un d'eux, et non des moindres, Ananie, avait été foudroyé par le Pape en personne, et sa digne épouse idem[2].
Bref, vu de près, ce Concile de Jérusalem, malgré la joie générale provoquée par sa cérémonie d'ouverture, s'enlisait peu à peu, ne laissant filtrer que des oppositions, alors que tout notre jeune clergé et tout le jeune laïcat espéraient autre chose.
Le schisme évité
Vous me direz que dix-neuf siècles après, avec le recul de l'Histoire, tous les historiens de l'Église, dans le monde, célèbreront la gloire de ce Concile, car il a su éviter ce premier schisme qu'aurait été la séparation de Pierre et de Paul. Ce sera facile, plus tard, de regarder en arrière. Moi, je fréquente les vicaires de Béthanie et les laïcs d'Emmaüs recevant leur hebdomadaire et relisant les communiqués. Et je cherche à prendre la température de ce diocèse surpeuplé de Jérusalem où, depuis la Porte de Damas jusqu'au Cénacle, la circulation devient impossible pendant que ce premier Concile de l'Église est réuni.
Déception chez les fidèles
J'ai voulu interroger tous les milieux. En Jérusalem, j'ai mené mon enquête dans les souks et autour des piscines. J'ai posé des questions à l'homme de la rue comme dans les milieux aisés, sans oublier cette banlieue de bidonvilles qui encombre maintenant toute la vallée du Cédron depuis que Ponce-Pilate a homologué le nouveau plan d'urbanisme. J'avoue que mon hebdomadaire a raison. Partout on perçoit chez nos fidèles une évidente déception. Et si ce Concile ne tenait pas compte de tout ce que « l'opinion » attend de lui d'un bout à l'autre de notre immense Palestine, le désarroi serait réel. Ces évêques rassemblés en ce Cénacle trop fermé se rendent-ils compte que l'Église naissante est déjà à un tournant de son Histoire ?
La « référence » au Saint-Esprit
« Il a paru bon au Saint-Esprit et à nous... ». Cette phrase du communiqué final[3] de ce Concile de Jérusalem a certainement surpris l'opinion, mais elle l'a en même temps rassurée. Les décisions enfin prises apportent un apaisement. Leur publication atteste que cette assemblée, après nous avoir si justement inquiétés, a réussi (pour l'instant) à surmonter les divisions épiscopales (mais je sais de source sûre que le communiqué ne dit pas tout...).
Cependant, dans le texte du communiqué, cette référence au Saint-Esprit a choqué quelques uns de nos meilleurs responsables. Ils se demandent si une référence moins compromettante n'aurait pas facilité le dialogue avec les Perses et les Egyptiens si nombreux de nos jours au-delà du Jourdain.
Les détails d'un incident
J'oubliais. Cette référence au Saint-Esprit me fait penser qu'au début de mon enquête, quelqu'un y avait tout de même déjà fait allusion. En consultant mes notes, je retrouve les détails de l'incident. Je cherchais à interviewer Jean, un des leaders d'un certain parti du Concile. Il n'était pas chez lui. J’ai tout de même été reçu par une certaine Marie que ce Jean avait, pour je ne sais quel motif, recueillie chez lui. Une femme au visage marqué d’un je-ne-sais-quoi d'indéfinissable. Elle m'a peu parlé. J'ai voulu l'interroger sur les divisions du Concile. Elle a eu un sourire qui ne ressemblait à aucun sourire de femme ; j'ai cru voir une larme, mais elle ne pleurait pas non plus. Je crois bien que c'est elle - la seule - qui m'a fait allusion au Saint-Esprit. Je n'ai pas vu d'ailleurs pourquoi elle s'intéressait au Saint-Esprit. Mais je l'avais tout de même noté à tout hasard. Ah ! oui. J'avais aussi recopié sa dernière phrase : elle m'a dit : « Qu'elle conservait toutes ces choses en son cœur[4]. »
De quelles choses parlait-elle donc ?
Et quel rapport avec le Concile ?
Et avec l'Église ?
Je ne saisis pas très bien.
Le reporter : Jean RODHAIN.