Le Secours catholique tel que vous l'ignoriez... Le premier choc et le second
Jean RODHAIN, « Le Secours catholique… tel que vous l'ignorez ! Le premier choc et le second », Messages du Secours Catholique, n° 146, novembre 1964, p. 14-15.
Le Secours catholique… tel que vous l'ignorez !
Le premier choc et le second
A l'entrée de ce Siège social il y a un tableau représentant un admirable bouquet de fleurs : la première impression est charmante, gracieuse même.
Mais sous le tableau, une énorme inscription : « Ravissantes ces fleurs ? Il y a en France 45.000 aveugles qui ne verront jamais une fleur. » Et on se cogne à la misère : c’est la deuxième impression.
Ce double choc on le ressent du haut en bas de cette maison du Secours, Catholique.
On est sur le point d'admirer la fraîcheur des tons de ce bureau gris pastel, mais les dossiers entrouverts sur la table vous brûlent aussitôt les doigts : ce sont les « cas » sociaux à résoudre avant la fin du mois.
On s'extasie devant le planning impeccable et coloré des réservations de places sur les paquebots vers l’Amérique du Sud, mais on découvre que chaque signal de couleur représente une famille d’émigrants en détresse qu’il faut acheminer à tout prix vers des emplois à trouver au Brésil. Même au service comptable, le choc est pareil : une machine automatique enregistre, classe et ordonnance les chèques arrivant. L'impression est indiscutablement confortable. Mais le responsable du service vous ouvrira peut-être le classeur fermé à clef avec les dossiers des demandes contrôlées, vérifiées, provenant de la léproserie de Saïgon ou du Foyer des vieillards de Marencourt-les-Potiers, c'est le paquet des dossiers en attente. En attente que le niveau des entrées permette d'augmenter le niveau des distributions. En attente...
Le visiteur étourdi s'écrie dans les couloirs interminables : quelle administration. S'il se donne la peine d'examiner quelques minutes la maison, il conviendra que cette administration cache quelque chose, que ces papiers révèlent quelque chose. Il y a des chiffres, mais ce n’est pas une banque. Il y a des machines : mais c'est autre ose qu'un bureau. Sans geindre, sans gémir, la misère est ici. Elle est présente d'une certaine façon. Sans phrases.
Bien des visiteurs, en repartant, ne posent plus de questions : ils demandent à réfléchir un peu, seuls, dans la pauvre chapelle si obscure qu'on ne peut pas lire, mais où on vient comprendre.
Saint Laurent, diacre, serviteur des pauvres, ayez pitié de nous.
J. R.