Le problème des rapatriés est-il résolu ?
Jean RODHAIN, « Le problème des rapatriés est-il résolu ? », Messages du Secours Catholique, n° 144, septembre 1964, p. 8-9.[1]
Le problème des rapatriés est-il résolu ?
I. - Le soleil, mauvais répartiteur
Une première constatation se dégage de notre vaste consultation : l'acuité des problèmes qui se posent encore aux rapatriés, est fonction de leur densité géographique donc de leur regroupement, bien explicable mais pas toujours raisonnable, dans les départements les plus ensoleillés. Cette implantation trop massive par rapport aux facilités d'absorption en logements comme en emplois, des régions considérées, crée des situations actuellement sans issue.
Faute d'un relogement assurant une dispersion modérée, la mise en contact progressive avec la population métropolitaine a été contrariée.
Une exception remarquable : l'intégration dans les paroisses n’a pas été fonction de cette concentration plus ou moins importante des rapatriés mais bien des initiatives, de la compréhension de la charité en un mot, issues de certaines de ces paroisses.
II. - Une lourdeur- administrative
Seconde constatation générale : les rapatriés ont souffert. Ils souffriront encore, c'est à craindre, des lenteurs administratives.b
Un ministère peut bien constater très vite, comme ce fut le cas au ministère des rapatriés, telle ou telle lacune dans la législation : y remédier à bref délai représente un tour de force rarement réussi.
Même si quelque article d'une loi de base permet le développement souhaitable, la chaîne des décrets, des arrêtés, des circulaires d'application qui doivent suivre consomme les mois, les trimestres, les semestres.
A notre époque tout problème devient interministériel ; il faut le plus souvent, en effet, obtenir l'accord d'autres ministères dont le plus restrictif : celui des Finances. Echanges de vue, projets, contre-projets, discussions, mises au point… sans parler des délais de signature une fois le texte, le compromis plutôt, élaboré.
Ce fut le mérite du ministère des Rapatriés d'avoir, pendant deux ans, tenté de faire aboutir un bon nombre des modifications ou des additions nécessaires aux textes initiaux. Ceci avec ingéniosité et dynamisme toujours, avec aussi de fréquents succès, un peu tardifs malgré tout et limités par rapport aux besoins.
N’avoir pas conservé plus longtemps un responsable spécifique, à l’échelon du Conseil des Ministres, pour défendre les intérêts des rapatriés et faire avancer les solutions, contre vents et marées, marque la méconnaissance d'un reclassement et d'un relogement trop inachevés, quoi qu'en disent les statistiques.
Nous le notons, bien évidemment, du seul point de vue qui est le nôtre : l'efficacité de l’action charitable et sociale.
III. - Il faut comprendre, et encore comprendre
Un quincaillier qui déménage ne pleure pas indéfiniment ses anciens tiroirs et outils. II s'adapte.
Mais si vous êtes vigneron ou jardinier. Si après votre père vous avez passé votre existence à créer, soigner, chérir vos plantations. Si vous apprenez qu'elles sont bien entretenues par d'autres et que leurs fruits - vos fruits - servent à nourrir des enfants et des familles, votre regret sera tempéré par la fierté d'une création réussie et bienfaisante.
Par contre si vous savez votre vigne négligée, vos champs en friche et votre sacrifice sans aucun profit. Si vous savez les tombes de votre famille saccagées et votre église déserte, votre souffrance n'est pas une nostalgie.
Il n'y a que les êtres amorphes qui ne souffrent pas. Porter un deuil n'empêche pas de construire l'avenir ni d'aider positivement les jeunes nations à prendre leur essor.
Porter un deuil n’est pas une position politique : c'est une preuve d'existence, et de vie humaine authentique.
Ce respect pour ces deuils, cette compréhension pour le coup subi par ces rapatriés, doit aller jusqu'à la compréhension de leurs erreurs elles-mêmes. Qu'aurions nous fait à leur place ?
A leur place. Se mettre à leur place. Ainsi la famille se regroupe, se retrouve. Comprendre. Tout le problème des rapatriés s’articule finalement sur ce mot.
« MESSAGES »
[1] Article non signé mais formellement identifié Jean Rodhain par Françoise Mallebay. (Note de l'éditeur)