Messe pour les morts
Jean RODHAIN, « Messe pour les morts », Messages du Secours Catholique, n° 166, septembre 1966, p. 13.
Messe pour les morts
Homélie prononcée par l’Aumônier général qui concélébra dans la Basilique Souterraine, entouré de dix aumôniers de camps.
Mes Frères,
Requiescat in pace
« Qu’il repose en paix. »
Combien souvent, dans les sables de Poméranie, quand le cortège sortit du lazaret du camp, cela, a été chanté par la chorale du stalag :
« Qu'il repose en paix ».
Combien de fois, dans la ferme kommando, auprès de la victime d'un accident de travail, cela a été en l'absence de tout aumônier récité par le séminariste, prisonnier.
Combien de fois, dans là solitude de la baraque de Ravensbrück, cela a été murmuré au petit matin :
« Qu'elle repose en paix »
Et depuis 20 ans, combien de fois, dans le cimetière de la ville ou du village, alors que vous entouriez avec les fanions de vos fédérations, celui qui aurait aimé venir ici à Lourdes, cela a été psalmodié par le vieux chantre de la paroisse :
« Requiem aeternam dona eis Domine »
Par milliers, vous avez apporté des enveloppes et des listes avec les noms de vos morts ; elles sont ici, elles marquent votre fidélité, elles proclament votre foi.
Seigneur, nous savons,
Seigneur, nous croyons,
que ceux que nous pleurons jouissent de votre paix.
Mais ce matin, avec le regard que de Là-haut, ils jettent vers nous, depuis cette paix infinie qu’ils ont, obtenue, ce qu’ils souhaitent pour nous, ce qu'ils réclament pour nous, c’est aussi la paix.
Que tous ceux qui, ce matin, arrivent pour la première fois dans cette basilique souterraine, regardent et contemplent au-dessus de nous ces voûtes aux nervures si accentuées.
Comme les doigts de plusieurs mains qui se joignent, ces arcades de béton se rejoignent exactement. Ces nervures des voûtes convergent, elles se rencontrent dans un ordre parfait et paisible : la paix, c'est la tranquillité de l’ordre.
Dans cette voûte, il n'y a pas une seule divergence, pas une seule discordance. Mais s'il y avait eu, dans une seule de ces nervures, un béton plus pauvre ; mais s'il y avait eu, dans un seul de ces arceaux, un ciment mal réparti ou une tige d’acier négligée, ce serait la fissure, le craquement ; ce serait l'harmonie de l'édifice déséquilibrée. L’harmonie et la paix de cette basilique tiennent à l'ordre rigoureux de ces forces réparties.
Que ces voûtes-nous apprennent donc demain à examiner l’édifice de la cité, pour voir :
s’il y a des hommes mal nourris,
s'il y a des pauvres qui se cachent,
s’il y a des biens mal répartis,
s'il y a des fissures criantes qui détruisent la paix, cette tranquillité de l'ordre.
Nos morts nous interpellent, il nous rappellent que la paix, ici-bas, n’est pas une résignation mais un travail.
A chacun de nous la paix réclame, demande de travailler,
- par son attention aux plus pauvres,
- par son souci de la justice vis-à-vis du prochain,
- par sa volonté de conduire les mains, toutes les mains à se rejoindre, ensemble, exactement comme ces nervures qui donnent à cette voûte, à cette Basilique cet ordonnancement moderne et harmonieux qui est l'image de la paix.
Voilà ce que vos morts réclament de vous.
Et maintenant, sous ces voûtes, le Sacrifice va se célébrer et le Seigneur va être présent.
« La paix soit avec vous », c'est ce que le Seigneur promettait dans tant de maisons où Il savait entrer, dit l'Évangile, les portes étant fermées.
Pour Lui, il n’y a pas de portes qui tiennent.
Pour le Seigneur apportant sa paix, il n'y a pas d'obstacle qui compte.
La famille la plus abandonnée,
elle peut se dire, et c'est vrai, dès qu’elle se réunit, que le Seigneur – même les portes fermées - est là présent, au milieu d'eux pour leur donner sa paix.
La veuve la plus solitaire,
elle peut se dire, et c'est vrai, que le Seigneur, malgré toutes les murailles de l'égoïsme, malgré toutes les cloisons de l'opinion, est là, présent auprès d'elle.
Celui qui s'imagine le plus accablé,
Celui qui se croit le moins compris,
Celui qui s’accuse le plus inquiet,
ils peuvent se dire, et c'est vrai, que même les portes du cœur apparemment fermées, le Seigneur entrera, qu'Il entre déjà, avec sa paix, pour celui-là justement qui n'osait plus l'attendre.
Voici l'heure maintenant du pain consacré, et celle du pain partagé :
- C'est là Charité du Christ dans cette Présence réelle. Nous le croyons.
- C'est la, Charité du Christ dans ce partage exemplaire. Nous le promettons.
Que la Paix du Seigneur soit
avec vos morts,
avec vous,
avec vous tous.
Amen.
Jean RODHAIN.