A propos des bombardements
Jean RODHAIN, « À propos des bombardements », Messages du Secours Catholique, n° 170, janvier 1967, p. 2.
À propos des bombardements
« Messages » a publié il y a plus d’un an, sous ma signature, la phrase suivante :
« Chaque fois qu'une escadre pilotée par des chrétiens blancs détruit un village d'Asie avec ses femmes et ses enfants, du même coup cette escadre efface en Orient, une à une, les plus belles phrases des schémas du Concile. »
Depuis lors, « Messages » a répété régulièrement cette affirmation, et chaque fois nous avons reçu des protestations et quelques désabonnements. Depuis un an, le total des désabonnements au sujet de ce texte se monte actuellement à 67. On me dira que c'est peu sur un total de 820.000 abonnés à « Messages ». Mais j'y prête grande attention. D'abord parce que je devine que cette phrase a choqué certains de nos lecteurs qui ont cependant tenu à rester fidèlement abonnés au journal. Et ensuite parce que ces 67 désabonnements étaient accompagnés de lettres fort courtoises. La plupart de ces lettres exposent qu'il s'agit d'une guerre. Que le Vietcong commet des attentats contre des civils, donc que finalement les culpabilités sont égales et que nous avons tort de ne mentionner que les bombardements effectués par les Américains. Aussi je tiens à m'expliquer :
Voici une île perdue dans un océan. Imaginons qu'un premier bombardier la survole et y massacre 300 femmes et enfants. Un second bombardier, provenant d'un camp ennemi, la survole de même et y massacre également 300 femmes et enfants. Vous me dites que les résultais sont égaux, que les deuils sont semblables, qu'il y a match nul, et donc que je n'ai rien à dire.
Mais si j'apprends que dans le bombardier n°2 les pilotes et les mécaniciens sont mes amis, et que je suis lié à eux par une religion commune et par le même baptême, je me sens concerné et, en quelque sorte, complice du second bombardier.
Je déplore également chacune des 600 victimes, mais j'éprouve un regret plus vif, je ressens un remords plus grand pour les victimes du second bombardier, parce que, dans son acte, je me sens compromis.
Voilà pourquoi, sans vouloir justifier en rien les agressions commises contre des civils par des Vietcongs non chrétiens, j'estime que la mise à mort indirecte de femmes et d’enfants, causée par un bombardier piloté par des chrétiens blancs, ne peut que donner à ces populations d'Asie un contre-témoignage. Ce n'est certainement pas un moyen de propager l’Évangile du Seigneur-Jésus. Ce n'est certainement pas un témoignage de la présence de l’Église au monde. Et c'est pourquoi je répéterai inlassablement, même si nous devons perdre chaque fois l'abonnement de quelques-uns de nos amis, la phrase ci-dessus.
Jean RODHAIN