Trois objections actuelles contre Charité et activités caritatives
Jean Rodhain, « Trois objections actuelles contre charité et activités caritatives », Brochure de la Journée Nationale 1967, p. 16-17.
Trois objections actuelles contre Charité et activités caritatives
- Il faut aller au monde, le Concile l’a dit.
Or, le monde 1967, est laïc à 100%. Et pour le pénétrer il faut évacuer les structures ecclésiales et les institutions : il faut se rapprocher de la vie vécue, de la manière de penser et des usages qui sont en vogue, renoncer même au sacré et à l’aspect confessionnel du catholicisme. Donc, plus de Secours Catholique.
Réponse :
« …Pour rénover l’Église, pensent certains, il faut, si elle veut aller avec les temps nouveaux et se faire entendre du monde d’aujourd'hui, se détacher de nombreuses et graves choses de l’Église, qui sont pourtant siennes, mais semblent maintenant embarrasser, et alourdir sa marche : tradition, autorité, philosophie, culture, droit canon, institutions et même certains dogmes, certaines formes d’intériorité et de culte ; en un mot, on dit : il faut se libérer des « structures », et se rapprocher de la vie vécue, de la manière de penser et des usages qui sont en vogue, renoncer même au sacré, à l’aspect confessionnel du catholicisme et ainsi de suite. Cette façon de voir semble séduisante ; et certes, personne ne conteste, avec le Concile, que beaucoup de formes contingentes de la vie de l’Église puissent et doivent être, avec prudence et courage, abandonnées et remplacées par d’autres qui sont meilleures. Mais si cette opération de détachement, à laquelle les responsables de la hiérarchie et du laïcat dans l’Église de Dieu s’appliquent laborieusement, devient une fin en soi, si elle est laissée à l’initiative de tout un chacun, il peut arriver que chez le catholique sa conscience propre et authentique fasse place à une conscience de non-catholique. Et il peut arriver que la présence du mystère du Christ fasse place en lui, comme à un succédané recherché avec une sorte d'obsession, à la présence mythique de ce monde auquel il voulait apporter le message du salut et auquel au contraire il emprunte, comme à un maître nouveau et profane, les principes et le style de sa vie chrétienne. La conséquence probable et désolante, c'est qu’on fourvoie ainsi sa foi, sa sécurité. sa force et sa paix dans une dangereuse métamorphose. »[1]. (Allocution du Pape Paul VI à l’audience générale du 9 août 1967.)
- L’action charitable est un contre-témoignage.
Réponse :
La meilleure des automobiles est un contre-témoignage si je la conduis à contresens.
Si j'organise un « bal de charité » je provoque un contre-témoignage car la Charité n'a rien à voir avec un bal. Si une œuvre de charité conservait les méthodes du XVII° siècle avec lampes à huile, aumônes et bons de pain, elle serait au XX° siècle un contre-témoignage.
Par contre, quand un tremblement de terre détruit une ville de Turquie ou bien les activités charitables apportent du lait aux enfants. Ou bien pas de lait. C’est parfois une question de vie ou de mort pour des centaines d’enfants. Dans cet avion chargé de lait où voyez-vous un contre-témoignage ?
A Genève, à New York, dans les Organisations Internationales qui portent le poids de millions de réfugiés, voulez-vous être présent ou absent ? On n'est présent que si on représente un réseau actif et agissant. C’est l’absence qui est un contre-témoignage. Or, tous ceux qui pérorent contre les activités charitables, je ne les ai jamais - je dis et j'écris JAMAIS - vus, ni siéger, ni travailler dans toutes ces structures internationales.
Cette activité est un témoignage adapté, à la condition de découvrir sans cesse les raisons profondes des structures de la Charité dans l’Église.
« Oui, de la découverte, ou de la redécouverte des merveilleuses raisons qui justifient les formes concrètes dans lesquelles se réalise la vie de l’Église, qui les font apparaître comme des phénomènes vitaux pour elle, comme l’oblation de l’Église au Christ, son Epoux mystique, oblation préparée par une laborieuse expérience et par un long amour ; comme des tentatives pour répondre par la pensée, par la parole, par la vie, par les institutions, par le développement historique, à l’idée première du Seigneur sur son Église. Cela ne veut pas dire que tout soit parfait et définitif dans les fameuses « structures », mais au contraire que cette recherche et cette découverte de leurs racines intérieures font mieux et plus intensément sentir le besoin de leur amélioration progressive et cohérente. Mais cette option, plutôt qu'extérieure, est intérieure, plutôt que suggérée par les imperfections de l’Église, elle est persuadée de son indéfectible fécondité, plutôt que par la lassitude et la critique de la vie de l’Église, plutôt que par quelque présomption charismatique, elle est guidée par l’amour humble, inlassable, recherchant sa perfection dans la joie[2]. »
- Pouvez-nous nous expliquer cette vague actuelle d’objections contre la Charité.
Primo : On a dévalué le mot en l’employant à tout propos. « Vente de charité », « bal de charité », etc. Il y a eu trop de personnages qui ne pratiquaient même pas la justice et avaient la bouche pleine du mot Charité. Quand un enfant a un père abusif, il a horreur de ce qui est « paternel ». Mais dès qu’il fonde un foyer il redécouvre la beauté de la paternité. Ainsi la Charité véritable demeure.
Secundo : Si j’étais le Diable, j’attaquerais l’Église sur trois points. le culte de la Vierge Marie, le célibat des prêtres et l'activité charitable.
Chaque fois qu’il y a eu dans l’Histoire une révolution antireligieuse, ce furent toujours les trois objectifs visés.
Or, nous sommes dans une période post-conciliaire de magnifique renouveau dans l’Église. Si j’étais le Diable, je ne serais pas tranquille. Et j’appliquerais une fois de plus ma stratégie des trois objectifs.
Voilà pourquoi il n’est pas étonnant qu’en 1967 les activités charitables de l’Église soient aussi attaquées.
Cela leur fera du bien d’ailleurs.
Cela les réveillera.
Deo gratias !
J.R.