Eux seuls ont les yeux assez clairs
Jean RODHAIN, « Eux seuls ont les yeux assez clairs », Les parents, décembre 1969.
Eux seuls ont les yeux assez clairs
par Mgr Rodhain
Le marchand de santons a cette année, complété sa collection : au rémouleur et au « ravi » il a ajouté Armstrong, tout blanc, et le Lem, tout brillant. A la crèche de la paroisse, les hommes de la lune seront bien placés entre deux bergers, tout près de l'âne et du bœuf. Les adultes s’étonnent de cet anachronisme. Les enfants, eux, trouvent tout naturel, tout normal, ce raccourci chronologique.
Tandis que certains voudraient remplacer le catéchisme par des formulaires aseptisés et surgelés, l’enfant, instinctivement ouvert aux mystères de l’Évangile, regarde la crèche avec ses yeux qui voient plus loin que les vieillards myopes que nous sommes devenus. La prière des enfants dépasse nos fréquences. Elle possède une longueur d’onde qui monte droit vers le ciel. C’est une des grâces de Noël.
C’est une des joies de Noël aussi. Ce monde devient triste à mourir. Chaque matin c’est un incident quelque part. Ici un duel d’artillerie. Là-bas une demi-révolution. Et, dans cette universelle contestation, on trouve de tout, sauf la joie.
Or voici que comme des milliers de feux de joie, la prière des enfants va s’allumer dans la nuit de Noël. Eux seuls ont les yeux assez clairs pour regarder vers les cieux. Eux, et eux seuls, ont encore les cœurs assez purs pour parler face à face avec Dieu. Eux. et eux seuls, ces enfants, sont à leur aise pour dialoguer sans crainte avec cet enfant venu sur Terre dans cette crèche.
Quel ordinateur calculera le poids de ces prières d’enfants à Noël ? Quel sismographe saura capter ces ondes de choc parties de la toute-puissance de ces petits ? Quel poète saura raconter comment la balance du Jugement oscillera en ce Noël au souffle de ces enfants venant quêter pour ce pauvre monde quelques grammes de véritable joie ?
Ainsi, dans cette céleste radiophonie que nous appelons « prière », des millions d’enfants vont, en cette nuit de Noël, s’agenouiller pour la paix du monde. Autour du sapin scintillant, les enfants d’Alsace, en ce Noël 1969, sont rassemblés : ils prient. Dans leur forêt toute moite, les enfants biafrais sont réunis par le pasteur, ou par le missionnaire pour cette nuit de Noël : ils prient.
Très seul, dans sa fièvre, l’enfant malade, ce soir, ne dort pas : il regarde la petite crèche de papier posée sur la cheminée, il essaie de prier...
C’est Noël.
Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous.