Discours de Saint Augustin - Sermon 389
Extrait des Discours de saint Augustin, évêque (Sermon 389, 4: PL 39,1704; NBA 34, 639-641)
C’est le Christ qui reçoit lorsque vous donnez aux pauvres.
Mes frères, si nous possédons des biens que nous pouvons donner aux pauvres et que nous ne les leur donnons pas, nous les abandonnons ici en mourant ou nous les perdons déjà au cours de notre vie. Combien ont perdu à l’improviste des biens qu’ils cachaient avec soin! Il suffit de l’assaut d’un ennemi pour faire perdre aux riches leurs trésors; ils ne peuvent pas demander aux envahisseurs de respecter ce qu’ils ont mis de côté pour leurs enfants.
Écoutons le conseil que notre seigneur Jésus-Christ donne au jeune riche qui lui demandait comment posséder la vie éternelle. Il ne lui dit pas de jeter ce qu’il possède dans le sens de jeter les biens temporels pour obtenir ceux éternels. Il ne le lui dit pas parce qu’il voyait qu’il aimait ses biens, il lui dit de les transférer là où il ne les perdra pas. Il aimait ses trésors, ses richesses, ses propriétés, tous les biens qu’il possédait sur la terre. Il les possédait et les aimait sur la terre et c’est là qu’il les aurait perdus, en se perdant soi-même. Pour cette raison Jésus lui conseille de les transférer au ciel. Possédant des biens ici-bas il les aurait perdus, ajoutant à la perte de ses biens sa propre perte; en revanche, en possédant des biens au ciel, il ne les perd pas et il peut les suivre là-haut.
Voilà donc le conseil de Jésus: «Donne aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel». Tu n’en seras point privé; mais ce que tu gardes avec inquiétude sur la terre, tu le posséderas avec pleine sécurité dans le ciel. Sors, suis mon conseil; ainsi tu garderas tout sans rien perdre. «Tu auras, dit-il, un trésor dans le ciel» et il ajoute: «viens ensuite et suis-moi», (cf. Mt 19, 16-21). Car je te conduis vers ton trésor. Ce n’est point perdre, c’est gagner. O hommes, éveillez- vous, maintenant au moins que vous avez expérimenté ce que vous avez à craindre, écoutez et faites ce qui doit vous laisser sans aucune crainte, montez au ciel. Tu mets du blé sur la terre; voici venir ton ami; il sait quelle est la nature du blé et quelle est la nature de la terre, il te montre que tu as fait une faute, il le dit: Qu’as-tu fait? Tu as placé ton blé sur la terre, dans un lieu bas; cet endroit est humide, ton blé pourrit; tu vas perdre le fruit de tes travaux. — Que faire? Reprends-tu. — Change-le de place, réplique-t-il, mets-le au grenier. Tu suis ce conseil que te donne ton ami quand il s’agit de ton blé, et tu ne tiens pas compte de l’avis que Dieu même te donne quand il est question de ton cœur! Tu crains de mettre ton blé sur la serre et tu y mets ton cœur pour le perdre!
C’est le Seigneur ton Dieu qui te dit en effet: «Là où est ton trésor, là aussi est ton cœur» (Mt 6, 21). Élève, dit-il, ton cœur au ciel, et ne le laisse pas pourrir sur la terre. Ah! C’est un conseil pour le conserver et non pour le perdre. Cela étant ainsi, combien se repentent amèrement ceux qui n’ont pas suivi ce conseil! Que se disent-ils aujourd’hui? Nous conserverions au ciel ce que nous avons perdu sur la terre. L’ennemi a forcé l’entrée de nos maisons; forcerait-il l’entrée du ciel? Il a tué le serviteur qui gardait nos richesses, tuerait-il égale- ment le Seigneur qui nous les conserverait? «Près de lui le voleur n’a pas accès ni les vers ne corrompent.» Combien s’écrient: Là nous posséderions, là nous garderions nos trésors, pour les suivre bientôt avec une entière sécurité! Pourquoi avons-nous méprisé les avis de notre Père, si près d’être envahis par un cruel ennemi?
Ah! mes frères, si c’est là un conseil et un bon conseil, ne tardons pas à le suivre; et si nos biens doivent passer en d’autres mains, transportons-les dans ce sanctuaire où nous ne les perdrons pas. Que sont les pauvres à qui nous faisons l’aumône? Ne sont-ils pas les portefaix que nous employons à porter nos richesses de la terre au ciel? Faire l’aumône, c’est donner à ton portefaix, et il monte au ciel ce que tu lui remets — Mais comment, dis-tu, le porte-t-il au ciel? Ne le vois-je pas manger et consumer ce qu’il reçoit? Il est vrai, et ce n’est pas en le conservant, c’est en le mangeant qu’il le transporte. As-tu oublié: «Venez, bénis de mon Père, possédez le royaume; car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger?» As-tu oublié encore: «Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de mes petits, c’est à moi que vous l’avez fait?» (Mt 25, 34.35.40) Si tu n’as point repoussé le mendiant, considère à qui a été remis ce que tu as donné. «Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de mes petits, dit le Seigneur, c’est à moi que vous l’avez fait». Ce que tu as donné a donc été reçu par le Christ, par Celui qui t’a donné de quoi donner, par Celui qui finalement se donnera lui-même à toi.