Saint Vincent : mystique de la charité. Entre action et contemplation
Roberto Gomez C.M. Le 28 septembre 2017 Châtillon sur Chalaronne
Saint Vincent : mystique de la charité.
Entre action et contemplation
Introduction et définitions :
Peut-on vraiment affirmer que Saint Vincent de Paul est un mystique[1] ? De plus, un « mystique de la charité » ? Comment justifier l’intitulé de notre exposé puisque Vincent n’a écrit aucun traité sur la question et n’a jamais émis de grandes théories à propos de l’âme ? En effet, parler du côté mystique de Vincent de Paul est inhabituel malgré l’affirmation du grand historien français Henri BREMOND à son sujet : « C’est le mysticisme qui nous a donné le plus grand des hommes d’action[2] ». Nous connaissons plutôt son côté actif et ses capacités d’organisateur, mais où se trouvent la source et le secret de son inépuisable énergie et de son optimisme anthropologique à toute épreuve ? C’est bien de cela dont nous allons traiter à continuation.
Si par mystique, on pense à quelqu’un qui a des visions, des ravissements étranges, des extases ou encore des phénomènes psychologiques hors du commun, alors saint Vincent n’est pas mystique. Par contre, si l’on définit la personne mystique comme quelqu’un qui a fait une « expérience du divin en soi[3] », fruit d’un don gratuit de la grâce et non pas d’efforts humains ou de raisonnements abstraits, alors, Vincent de Paul est vraiment un mystique. Plus encore, il peut être appelé « mystique de la charité » parce que non seulement il a cheminé vers Dieu mais il a proposé à d’autres un itinéraire éthique pétri de foi afin d’être présents au monde à la suite de celui a pris chair en Jésus-Christ.
1617 : la grâce divine transforme Vincent en « vase de miséricorde » :
La grâce divine s’est emparé de Vincent de Paul, petit à petit elle l’a façonné. Comme « le potier talonne la glaise » (Is 41,25) Vincent a vu ses ambitions s’envoler, il est foudroyé par la grâce et se trouve vidé de lui-même : crise de la foi ou nuit obscure, accusation publique de vol, impasse vis-à-vis de ses ambitions mondaines. Vincent est alors apte à l’action de l’Esprit de Dieu, il peut consentir à ses motions en toute liberté. Son expérience mystique commence par « une mutation secrète, loin de l’univers des mots, des idées ou des assurances objectives[4] ». En effet, il est difficile de décrire avec des mots ce qui se passe dans le plus profond d’un être touché par la main de Dieu. Du côté du sujet « gracié », il faut de nouvelles assurances, d’autres nouveaux repères et un lâcher prise total. Folleville et Châtillon sont les événements qui cristallisent la transformation de son argile boueuse en « vase de miséricorde », glaise landaise et ambitieuse jusqu’alors traversée par des forces et prétentions contradictoires. J’utilise volontiers une image extraite d’un texte de saint Paul parlant des chrétiens transformés de « vases de la colère tout prêts pour la perdition… en vases de miséricorde » façonnés par Dieu en vue de la gloire (Rm 9,22-23).
Comment définir l’expérience mystique de Vincent de Paul autour de cette année-là ? Que s’est-il donc passé dans son âme et au plus profond de son être ? Peut-on en déduire quelque chose ? C’est vraiment difficile parce qu’en réalité, il n’en dit pas grand-chose tout comme saint Paul qui dans ses écrits authentiques est très bref lorsqu’il évoque lui-même la révélation du Christ ressuscité sur la route de Damas. Qu’est que Paul a vu et compris ? Quel est le contenu de sa « rencontre » avec Jésus ressuscité ? C’est plutôt dans la suite de son histoire à travers ses lettres et la transformation de sa vie qu’il nous en révèlera davantage. C’est aussi le cas de Vincent. Il ne décrit nulle part la mutation secrète qui s’est opérée en lui. Nous avons à notre disposition seulement deux récits concernant les événements de cette année de transformation : le sermon de Folleville sur la confession générale, du 25 janvier 1617[5] et celui sur la Charité à Châtillon les Dombes du 20 août 1617[6]. Ces récits décrivent la logique des faits mais non pas l’expérience de la grâce opérant en lui. La réponse à la question concernant l’expérience mystique de Vincent il faut la chercher du côté de la nouvelle orientation de sa vie, dans les motifs qui apparaissent comme la cause de la transformation totale de ses engagements et dans les conférences aux Filles de la Charité et aux Prêtres de la Mission.
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Sous les notes de bas de page, retrouvez la suite du texte du Père Gomez en pièce-jointe, ci-dessous, ainsi que sur le site des Lazaristes ici.
[1] Je n’aborde pas ici la question historique par manque de compétences et à cause du cadre restreint de cette intervention. Pour la question historique je vous renvoie à l’ouvrage référence de Guiseppe TOSCANI, La mystique des pauvres. Le charisme de la charité, Versailles, Éditions saint Paul, 1998, particulièrement les pages 9-28.
[2] Henri BREMOND (1865-1933), Histoire littéraire du sentiment religieux en France depuis les guerres de religion jusqu’à nos jours ». 3/1, La conquête mystique, l’Ecole française, Paris, 1967, p. 199-228, (nouvelle édition). H. Bremond fut prêtre, historien, critique de la littérature française et membre de l’Académie Française.
[3] Louis COGNET parle d’une « Expérience intérieure du divin » dans Le crépuscule des mystiques, Paris, Desclée, 1991, p. 22.
[4] Cf. Philippe LÉCRIVAIN, « Comme à tâtons… Les nouveaux paysages de la mystique », dans Christus, L’Expérience mystique. Dieu ou le divin ? T. 4, n° 162, 1994, p. 137.
[5] Cf. Coste, XI, p. 2, Extrait d’entretien sur la mission donnée à Folleville en 1617.
[6] Cf. Coste, IX, p. 243-244 (récit de 1646) et Coste IX, p. 208-209 (récit du 22 janvier 1645).
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