Colloque 2018 : Intervention du Groupe Amitié et Fraternité
Colloque de la Fondation Jean Rodhain
26 - 28 janvier 2018
Hospitalité et identités fragilisées
Le GAF, une vision de la fraternité….
Lourdes 2018
Le Groupe Amitié et Fraternité (GAF) a désormais plus de 20 ans. Imaginée lors d’une rencontre entre un pasteur et un franciscain dans le Larzac, cette association, non confessionnelle, a développé ses activités pour répondre à la demande de personnes vivant dans la rue et souhaitant participer directement à leur réinsertion dans la vie sociale. La défense des droits des personnes de la rue a été longtemps un ciment d’activités et d’actions qui sont devenues non violentes au fil du temps, les projets qui ont émergé ont rendu l’association pro active. La dynamique des premiers participants a reposé sur le désir de créer une structure très démocratique, dans laquelle chaque personne avait le même droit à la parole, le même droit de vote dans une assemblée générale qui était la seule structure administrative.
Si un fonctionnement auto-géré et la liberté qu’ils donnent a conduit à des difficultés organisationnelles, ils ont aussi permis de s’appuyer sur ceux que Michel Godet appelle « les conspirateurs du futur », ces hommes et ces femmes qui, parce qu’ils ont vécu ou vivent dans la rue, peuvent être prophètes d’un besoin et porteurs d’une proposition alternative souvent en avance sur la société.
La rencontre « Hospitalité des personnes en grande fragilité » organisée par la fondation Rodhain a été l’occasion pour le GAF de présenter son concept d’accueil, ses réalisations et son fonctionnement organisationnel. Plusieurs membres de l’équipe ont ainsi écrit et expliqué aux participants de l’atelier :
- ce qui constitue son « ADN », à savoir la relation qui existe entre les modalités de l’accueil et l’émergence des projets portés par les accueillis et la structure. Aujourd’hui, comme l’explique la responsable de la « cellule projets », les gens de la rue ne sont plus des personnes qui ont choisi un mode de vie alternatif. La crise a fait tomber des personnes, jusque là insérées, dans une grande précarité (économique, sociale, psychiatrique), ou bien rend-elle difficile l’intégration de jeunes français dits de seconde génération, ou de migrants en attente de régularisation.
- les modes de gouvernance actuels et leur évolution, du fait du développement et de la multiplication des structures d’accueil et de la production sociale.
1. De l’accueil à la conceptualisation du projet, « des mots sur les maux »
A ses débuts, le GAF est un accueil de jour du secours catholique, puis il effectue des maraudes et devient une association avec accueil de jour. Alors, a été créée une « cellule écoute », car les personnes de la rue se plaignaient d’être peu ou mal écoutées. L’écoute porte sur la totalité de la personne : activités, passé professionnel, santé, addiction, logement, différences culturelles. Mais pour que la parole puisse se libérer, il faut faire disparaître la relation hiérarchique entre l’accueillant et l’accueilli, les différences sont destructives. « On essaie de s’affranchir des différences qui apparaissent clivantes, mais on prend leur richesse potentielle », précise un des bénévoles.
Quand on a commencé à faire des maraudes, évoque Christian, membre salarié du GAF, « on a choisi de ne rien donner pour que ce soit l’accueil qui prime sur une relation orientée sur l’avoir .. Lorsque le SAMU social est venu a Toulouse, ils ont décidé de s’appeler « équipe sociale » et qu’ils ne donneraient rien … »
Quand une personne est rejetée, c’est une partie de cette personne qui n’est pas prise en compte par la société. L’hospitalité du GAF se veut positive avec un regard bienveillant. Il accueille l’altérité, la culture de la personne. La personne est digne. Espace d’expression, le GAF peut alors devenir « un substrat qui permet l’émulsion, l’émergence des projets ». Pour la permettre, une cellule projet a été créée il y a 10 ans maintenant. Les projets sont le fruit d’une synergie et d’un fonctionnement collégial avec l’espace d’accueil.
Mais le temps des personnes de la rue n’est pas le même que celui de nombreux actifs. « On ne projette rien pour elles. On est persuadé que toute personne a une capacité de résilience, toute activité contribue à l’essor de la personne ». Les projets peuvent être individuels ou collectifs et naissent de ces échanges de paroles.
Pourtant, comment identifier le besoin réel de l’autre interroge une participante de l’atelier ? Le besoin identifié par l’association n’est pas vraiment celui de l’accueilli, et demain ses besoins risquent d’être différents…. « Devons-nous considérer ces personnes comme ayant des besoins de logement, de travail… ou comme des personnes habitées d’aspirations ? Cela passe donc par l’écoute et une connaissance réciproque ». Un migrant est inadapté… temporairement, précise P.Gibaud, il en est de même d’une personne qui a vécu longtemps dans la rue. Elle ne peut abandonner sa « culture » mais il y a des règles à adopter pour permettre le vivre ensemble. On passe de l’assistanat à l’accueil dans un groupe.
Le porteur de projet signe un contrat de porteur de projet après un délai de deux mois dans l’association. Il est alors suivi par la cellule projet et l’accompagnateur social. « Le GAF fait pour, par et avec », explique la responsable de la cellule projets qui précise que le projet est un lieu de rencontres entre ceux qui viennent de la rue, les bénévoles, les salariés du groupe et rapidement les structures d’appui. « Cette horizontalité dans la construction du projet crée un compagnonnage, malgré la vulnérabilité ».
2. Du concept à l’émergence du projet : « quand le GAF panse et pense »
C’est le « projet d’habitat différent » qui a cimenté le GAF et permis de faire naître une culture de projet. Pour passer de l’idée à la réalisation, il fallait aller présenter le projet à des structures administratives. Il fallait dépasser la demande d’assistanat, mais le manque de confiance dans des porteurs de projet SDF freinait tout développement. Lorsque ce fut un ingénieur …. de la rue qui écrivit le projet, le regard change, la mairie accepte et c’est la la naissance de la maison de Naubalette. D’autres maisons ont ensuite été confiées par la direction départementale de l’équipement à l’occasion de rachats de maisons par la mairie (Blagnac, Bayonne, concession autoroute)….. « Quand les personnes fragilisées deviennent actrices, cela vient bousculer les institutions » explique JL.Gallaup, membre fondateur du GAF. Cette observation est vécue, de la même façon, par les associations d’aide aux migrants. En insistant sur la capacité d’agir de ces personnes, « en les rendant visibles… elles deviennent audibles et dignes de confiance ».
Ont ainsi éclos non seulement des lieux de vie adaptés aux caractères sociologiques de ces porteurs de projet, dont une maison relais pour les plus âgés, mais aussi des services d’accueil (petits déjeuners, lieux de weekend, ateliers culturels et sportifs), une distribution hebdomadaire de colis alimentaires, un jardin potager avec commercialisation de légumes, un chantier d’insertion, et bien d’autres projets.
Mais le Groupe Amitié et Fraternité, cet objet social non identifié, comme l’appelle un des derniers secrétaires généraux, a été confronté et le sera sans doute encore, comme de nombreuses structures associatives à la question de son mode de gouvernance.
3. Tout concept d’organisation est-il liberticide ?
Né d’une conversation dans le Larzac, le GAF s’est voulu militant dès son origine, soucieux de défendre à haute et intelligible voix….. les droits des personnes de la rue, du fait de leur vulnérabilité, dans la patrie des droits de l’homme… En interne, le principe 1 homme, 1 voix était de rigueur, même s’il posait des problèmes au quotidien quand le nombre de voix varie chaque jour…. Et que bonne volonté et compétence organisationnelle ne vont pas toujours de pair. Mais, « nous sommes un organisme vivant, en mouvement, on prend en compte des valeurs marchandes et non marchandes de l’économie », précise la responsable de la cellule projets.
L’année 2009 marque un tournant dans la gouvernance de l’association. Il correspond à de nouvelles injonctions structurelles émanant des collectivités locales, du secteur caritatif ….. Aujourd’hui, les principes de gouvernance du GAF reflètent 4 idées force portées par les responsables quel que soit leur statut :
- « La non violence est un moyen d’action efficace … si l’on est formé à l’action non violente ». Elle n’exclut pas l’exercice d’une pression réelle sur les interlocuteurs administratifs, mais facilite la reconnaissance de la créativité et de la potentielle responsabilité des personnes de la rue à gérer des projets.
- La présence de bénévoles compétents auprès des porteurs de projets n’est pas liberticide si chacun comprend son rôle.
- Une structure comme le GAF doit être ouverte sur le quartier dans lequel elle veut porter un projet pour qu’il puisse être accueilli et porté par la population.
- Etre accompagné par une association plus importante est souvent un facteur de réussite, tant sur le plan communicationnel (réseau) qu’organisationnel (problématisation).
Conscient de la problématique du pouvoir dans toute structure humaine, le GAF fonctionne désormais en collégialité : une assemblée générale, un conseil d’administration et une équipe de coordination, cette dernière étant en lien constant avec les lieux d’action et enfin l’assemblée générale qui peut agir comme contre pouvoir. Une instance seule ne peut prendre de décisions. Enfin les responsables, qu’ils soient bénévoles ou salariés, ont reçu ou reçoivent des formations relatives à la gestion d’une association et ne craignent plus le passage à l’écrit qui seul permet le suivi et le contrôle des actions effectuées par ses membres eux-mêmes. Ce passage à l’écrit constitue une nouvelle culture pour le GAF. Elle est acceptée comme telle par l’ensemble de l’équipe.
Doté de cette forme de gouvernance, le GAF se considère comme un laboratoire d’expérimentations sociétales qui apportent des solutions aux accueillis, mais aussi des pistes nouvelles aux problèmes actuels des personnes en précarité. Ce « statut » de laboratoire alimente l’énergie des équipes qui ont conscience de pressentir, avant les structures officielles, les nouvelles difficultés auxquelles va être confrontée la société française. La pusillanimité de certains acteurs heurte les bénévoles et les salariés de l’association qui se sentent plus proactifs et agiles dans leur organisation et leur gouvernance que de nombreuses structures administratives.
Toute phrase entre guillemets constitue un verbatim des prises de parole des différentes personnes présentes travaillant à titre salarié ou bénévole avec et pour le GAF. Elles ne sont pas toujours nommément citées pour des raisons personnelles.
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