Ce que nous pourrions apprendre du chemin synodal allemand
Tribune de Jérôme Vignon et Mgr Didier Berthet du quotidien "La Croix" du 4/03/2020
Le chemin synodal lancé à Francfort (29 janvier- 1er février 2020) devrait s’étendre sur deux années et conduire à des « résolutions contraignantes » pour toutes les parties prenantes. Il fut placé d’entrée de jeu sous l’inspiration de la Constitution « Lumen Gentium » qui voit dans l’Église un instrument d’unification pour les sociétés humaines. Encore faut-il reconstruire une crédibilité mise à mal par le tsunami causé en Allemagne, tant au sein de l’Église que dans la société par la révélation à partir de la fin des années 2000 des abus sexuels commis par des clercs et des religieux. Redonner sa crédibilité au témoignage de l’Église est en définitive la raison d’être du chemin synodal allemand.
L’ampleur et l’audace de ce processus doivent certes beaucoup aux traits particuliers de l’Église outre-Rhin. Un dialogue régulier entre évêques et laïcs s’y est établi de longue date, processus favorisé par le ZdK [1], une organisation très structurée de mouvements de laïcs, parmi eux de nombreux théologiens et théologiennes formées dans les facultés de théologie bénéficiant de financements publics. À cela s’ajoute un fort sentiment d’appartenance à l’institution ecclésiale pour nombre de laïcs employés par les diocèses non seulement à des tâches pastorales mais aussi pour une grande variété d’activités sociales confiées par la Constitution allemande aux Églises.
Un besoin de conversion
Dans une affirmation discutable théologiquement mais significative humainement, de nombreux laïcs et parmi eux une majorité de femmes se sont proclamés comme « étant l’Église » [2] et méritant à ce titre d’être pleinement associés au travail de pénitence et de conversion requis par la crise de l’autorité ecclésiale. Dans l’Église catholique allemande, le besoin de changement n’est donc pas porté par quelques minoritaires aux extrémités du corps ecclésial. Il prend plutôt la forme d’un besoin de conversion par fidélité au sacerdoce baptismal commun ressenti par le cœur même de l’église confessante, laïcs et clercs largement confondus.
Mesurant l’ampleur de cette attente et la nécessité de lui répondre par une démarche inédite, la conférence épiscopale a sollicité au début de 2019 le partenariat du ZdK pour initier ce « chemin synodal » ainsi désigné du fait même de la place réservée aux laïcs dans la conception et le déroulement du processus..
Ces singularités étant reconnues, il semble aux deux observateurs privilégiés que nous avons pu être de la première étape de ce processus que s’en dégagent d’ores et déjà des leçons qui dépassent le cadre culturel du catholicisme rhénan.
Quatre forums de recherche
Cela vaut d’abord pour le champ thématique des questions posées. Les quatre « forums de recherche » qui alimenteront les débats de l’Assemblée plénière du chemin synodal ont à l’évidence une résonance dans l’Église en France comme dans plusieurs Églises nationales ouest européennes. Pour répondre à l’interrogation globale sur les causes sous-jacentes aux crimes sexuels, la conférence des évêques allemands a identifié, avec le ZdK, la question de « l’exercice du pouvoir et des responsabilités dans l’église », celle des » conditions d’existence des prêtres aujourd’hui », la « place des femmes dans les services et fonctions de l’église », et finalement « réussir une vie relationnelle-vivre l’amour dans la sexualité ».
Ces thèmes ne sont pas sans rappeler ceux qu’exprimaient les représentants des mouvements de laïcs réunis par la plateforme française « Promesses d’Église » invités à prendre la parole lors de la dernière Assemblée plénière des évêques à Lourdes. Les débats de Francfort ont montré l’interdépendance entre ces questions et plus précisément le caractère décisif de la première d’entre elles.
Si effectivement le pouvoir est libre des risques de détournement personnel, si l’autorité peut s’afficher aux yeux de tous comme service, alors les demandes exprimées au nom de l’égalité des sexes s’affranchissent des revendications les plus excessives et la réflexion sur l’avenir de la fonction presbytérale s’oriente vers la recherche de modèles pastoraux ajustés aux conditions nouvelles qui caractérisent et la place de l’Église dans la société et la place des prêtres dans l’Église.
Une méthode délibérative
Une seconde leçon de l’expérience synodale allemande réside dans la méthode délibérative elle-même, marquée par le sérieux mis dans la recherche d’un authentique dialogue entre des participants, différents tant par leur statut ecclésial, clercs de rang divers et laïcs, que par leur culture et leurs convictions. L’Église en Allemagne est traversée de courants divers, des plus traditionnels aux plus progressistes, comme elle l’est en France.
À Francfort, pendant les trois journées d’une Assemblée plénière, ces courants ont été plus loin qu’une simple juxtaposition de leurs positions. Ils sont rentrés en conversation au point finalement d’aboutir à un très large consensus sur le texte général qui régulera les débats à venir, alors même que chaque point en avait été âprement discuté.
Cet esprit d’écoute mutuelle des expériences vécues et des responsabilités particulières était dû à deux circonstances remarquables : d’une part l’humilité dont ont fait preuve les évêques en se prêtant à répondre à des interpellations publiques parfois véhémentes ; d’autre part au « sensus Ecclesiae », ce sens de la communion et du bien de l’Église entière auquel le Pape François avait appelé, dans une lettre adressée avant le lancement du chemin synodal « au peuple allemand pèlerin »[3].
Le sens de l’Église universelle
Sensus Ecclésiae, ou sens de l’Église universelle, ce sera la troisième leçon que nous retirerons de notre voyage en terre catholique allemande. D’entrée de jeu les participants ont affirmé, notamment lors de la célébration eucharistique qui les rassemblait dans la cathédrale Saint Bartholomée, qu’ils n’entendaient pas se tailler un costume sur mesure dans l’étoffe de l’Église universelle. Il s’agissait au contraire de rapporter à la mission de l’Église tout entière les interrogations nées dans un contexte allemand et de soumettre in fine les orientations qui en découleront aux processus de discussion et de décision propres à l’Église universelle : une forme de contribution à une synodalité mondiale, dont le synode sur l’Amazonie donne déjà l’image.
L’Église catholique en France n’est pas la même que l’Église catholique en Allemagne, répétons-le. Le chemin synodal allemand ne constitue pas une voie à suivre absolument. En France par exemple, la question de la place des pauvres en tant que guides du chemin à suivre aurait peut-être été plus présente qu’elle ne le fut dans les débats de Francfort. Mais les questions que l’Église allemande a accepté de se poser, la manière dont elle s’est organisée pour en faire un chemin de conversion suffisent à nous encourager.
Tribune parue dans le quotidien La Croix du mardi 24 mars 2020
[1] ZdK ou « Zentral Komitee der Deutschen Katholiken » fondé en 1848.
[2] « Wir sind die Kirche » ou « Nous sommes l’église », paraphrase du slogan de 1989 « Wir sind das Volk » en Allemagne de l’est au moment de la chute du mur.
[3] Lettre du Pape François au peuple pèlerin de Dieu en Allemagne. 29 juin 2019.