Questions sur le Vietnam
"Questions sur le Vietnam", MSC, n° 262, mai 1975, p. 3.
Questions sur le Vietnam
Comment accueillir les enfants du Vietnam ? Où se trouvent les réfugiés ? Quelle est l’action du Secours Catholique ? Que va devenir ce pays ? Sans arrêt, ces questions nous sont posées. Essayons d’y répondre.
Comment accueillir les enfants ?
Jamais nous n’avions reçu autant de coups de téléphone à ce sujet. Et à Genève comme à Rome, les œuvres de secours sont également assaillies. Il existe un indiscutable élan de solidarité et des milliers de familles se posent la question de leur devoir vis-à-vis des orphelins du Vietnam. Grâce principalement à la télévision, il y a donc eu un progrès dans l’intérêt du public pour la cause des enfants.
La réalité se présente ainsi : après un essai de transport vers les U.S.A., les autorités locales se sont formellement opposés à un évacuation des enfants.
D’autre part, l’ensemble des œuvres internationales s’occupant d’enfants a décidé de faire porter son effort auprès des enfants maintenus sur place au Vietnam. C’est donc dans ce travail d’ensemble que s’insère l’action du Secours Catholique.
(Voir page précisions p.12).
Où se trouvent les réfugiés ?
De Haïphong à Saïgon par Danang et Nah-trang, j’ai accompagné, il y a vingt ans, le premier exode des réfugiés. Cette opération de 1955 est restée gravée dans ma mémoire. Plus de 900.000 hommes, femmes et enfants groupés par paroisses, laissant tout pour cheminer pendant mille kilomètres et réussissant à reconstituer leurs villages et leurs cultures dans les forêts du Sud. Ce fut un travail réalisé avec une ténacité et un courage surhumain.
Depuis lors combien de ces nouveaux villages ont été à leur tour détruits ? Et combien de leurs habitants ont-ils de se réfugier « ailleurs » plusieurs fois de suite. Ces vingt années ont été un long calvaire pour ces populations.
L’actuel exode de ce triste printemps ne ressemble en rien à celui auquel j’ai participé, il y a 20 ans.
La fuite vers le Sud aurait, d’après Saïgon, entraîné deux millions de réfugiés. C’est notoirement exagéré. Ni l’état des routes, ni la capacité des bateaux ne permettaient un pareil mouvement. On peut estimer à 500.000 le nombre des réfugiés qui sont parvenus au niveau de Saïgon, où l’accueil dans les nouveaux camps est une lourde charge pour la Croix Rouge et pour la Caritas de Saïgon.
Par contre, la grande masse des réfugiés qui descendaient vers Danang a perdu tout espoir d’un embarquement. Ces réfugiés cherchent à regagner leurs points de départ. Et ce reflux est un des problèmes actuels de la zone nouvellement occupée.
Quelle est l’action du Secours Catholique ?
L’envahissement de la zone occupée complique le problème. Mais ce n’est pas la première fois que nous sommes en face d’un problème compliqué. Au Biafra comme au Bangladesh nous avons dû aider souvent des malheureux séparés en des camps opposés. Chaque fois la règle était la présence de part et d’autre, le secours apporté à l’un comme à l’autre.
Au Vietnam nous avons dès le début travaillé à la fois au Nord avec la Croix Rouge d’Hanoï et au Sud avec la Caritas de Saïgon. Et à l’heure actuelle nos envois sont acheminés aussi bien vers le Sud que vers la zone occupée. A la mi-avril, dans la même semaine des envois du Secours Catholique parvenaient par deux avions, l’un à Danang, l’autre à Saïgon. C’est le symbole type de tout travail d’assistance... Cela suppose des difficultés à surmonter et des obstacles à vaincre. Cela est normal, de même qu’il est normal de réaliser ces acheminements en évitant de multiplier les déclarations.
Que va devenir ce pays ?
Autour de moi j’entends bien des spécialistes établir leurs pronostics. Et chacun étudie les transformations à prévoir sur le plan politique ou dans le domaine économique.
Or, dans le plan qui nous concerne, c’est-à-dire le service des plus pauvres, nous sommes en relation avec le réseau de Caritas de la Chrétienté du Vietnam. Cette Église est marquée singulièrement : son histoire devrait être présente à nos yeux. Depuis 1533, date de l’arrivée des premiers missionnaires, c’est une longue succession de persécutions. On estime qu’en trois siècles plus de 100.000 laïcs et prêtres ont versé leur sang pour leur foi. Peu d’Églises ont totalisé autant de martyrs. Au Vietnam, il n’y a pas une famille chrétienne, sans un ancêtre mis à mort à cause du Christ.
Cette Eglise possède son clergé indigène. La zone occupée englobe 15 diocèses dont les 15 évêques sont vietnamiens. Dans cet exode d’avril tous les cadres civils, préfets et fonctionnaires se sont enfuis. Seuls les 15 évêques sont restés à leur poste. Cette présence, cette hérédité chrétienne, cette foi extraordinaire de cette communauté sont des éléments d’espoir pour continuer le service des plus pauvres.
Faire des pronostics d’après d’autres situations serait facile mais dangereux. Et ces chrétiens nous reprocheraient de porter des jugements à une si longue distance.
Les nouveaux occupants devront compter avec la foi de cette Église habituée à une vie dure. Sans compliquer leur travail par des jugements hâtifs, sachons aider de tout cœur nos frères du Vietnam.
Jean RODHAIN