Sidoine flâne à Rome
"Sidoine flane dans Rome", MSC, n°248, janvier 1974, p.2..
Sidoine flâne dans Rome
Une cérémonie grotesque.
Un académicien français ayant mis fin à ses jours l’an passé, ses amis crurent interpréter ses volontés non exprimées en trimbalant dans une valise une partie de ses cendres pour venir les disperser à Rome. Autant il y a de beauté et de discrétion dans les rites chrétiens des funérailles, autant le récit de ce saupoudrage funèbre sur des pelouses jusqu’ici réservées aux chiens du quartier manquait et de discrétion et de dignité.
Mais il faut reconnaître que le lieu de cette grotesque cérémonie était bien choisi. Il s’agissait de ce cœur le plus antique de Rome situé au bord du Tibre et qui renferme à la fois le Temple de Vesta, le théâtre de Marcellus et le très vieux Temple de Cérès.
Cérès, déesse des céréales.
J’ai bien dit « Temple de Cérès », malgré le silence ignare de tous les guides sur ce monument. Et voici pourquoi : le lieu en question est dominé par la façade de Sainte-Marie-in-Cosmedin, célèbre par son gracieux clocher des XI° et XII° siècles. Comme Sainte-Marie-in-Cosmedin est le véritable reliquaire de la plus ancienne diaconie de Rome, j’ai pour elle une grande dévotion. Dévotion amère mais tenace. Je dis « amère » parce que depuis de longues années mon intérêt pour le diaconat me poussait à fureter dans ce monument dans l’espoir d’y visiter les « greniers » où les diacres de jadis stockaient leurs réserves pour les pauvres de Rome. Je n’ai jamais trouvé que des portes fermées. Avec, en plus, depuis quelques années des barricades et des palissades bien étanches qui semblaient indiquer d’importants travaux. Dévotion tenace, puisque revenant à l’assaut l’autre jour j’ai découvert un « Abbouna », merveilleux moine oriental, qui est à la fois le chapelain et l’archéologue de Sainte-Marie-in-Cosmedin. Cet Abbouna barbu possède toutes les clefs et a suivi pierre à pierre tous les travaux depuis dix ans. Il me conduit dans les fondations - intactes - du Temple de Cérès datant du IV° siècle avant Jésus-Christ et qui est le noyau de l’église actuelle. Il me fait visiter les bâtiments qui furent les greniers à blé de la diaconie avant de devenir palais pontifical au VII° siècle. Et j’entre dans la chambre du Pape Nicolas 1er, chambre où il signa l’excommunication de l’hérétique Photius.
Et mon Abbouna m’entraîne enfin dans le quartier pour me désigner les inscriptions aujourd’hui encore intactes des « Horrea » : Grenier à foin ; grenier à fourrage ; grenier à blé.
Cérès = céréales. Cette boucle du Tibre était le débarcadère des navires chargés de grains. Nous sommes ici exactement dans le Rungis des premiers siècles.
La seule boussole
Mon Abbouna est aussi un historien. Il termine une étude sur les diaconies. Il m’apprend que dans ce vaste débarcadère, bien avant le christianisme, l’Empire romain avait organisé des distributions populaires dont les responsables portaient déjà le nom de « diacre ». Si l’Église naissante a eu le souci d’une présence aux plus pauvres, c’est dans ce quartier populaire que les signes de la présence de l’Église sont les plus denses. A chaque pas on y retrouve la trace des plus vieilles diaconies : Saint-Georges-en-Velabre, Saint-Nicolas-in-Carcere, etc...
Géographiquement il est visible que les structures des diaconies se sont enracinées dans le milieu pauvre. Là où est la Charité, là est l’Église. Même en 1974 tout ce quartier reste une démonstration de cette loi qui est à la base de tout l’Évangile.
Une institution charitable ne devrait avoir qu’une seule boussole : la présence auprès des plus pauvres.
SIDOINE.