L’année sainte commence demain
Jean RODHAIN, "L’année sainte commence demain", MSC, n°242, juin 1973, pp. 10-11.
L’année sainte commence demain
Déjà dans l’Ancien Testament revenait périodiquement une année « exceptionnelle » ; cette année dite - Jubilé - marquait tous les cinquante ans une remise en cause de toute possession. Celui qui avait acquis un champ devait alors le restituer à son premier propriétaire. Conséquence : dès la quarantième année, le prix des terrains baissait en flèche puisque bientôt le titre de propriété devenait caduc. De nos jours, qui oserait imaginer un remède aussi radical contre la spéculation foncière ?
Celui qui avait acheté un esclave devait de même le libérer en cette fameuse année jubilaire : ainsi tout accaparement de la main d’œuvre était évité.
Le « Lévitique » contient des pages entières de prescriptions minutieuses pour l’application de cette « remise en cause » : le Jubilé était « l’année des pauvres » qui pouvaient, cette année-là, non seulement glaner, mais se servir à leur guise.
J’attends qu’un historien nous présente une étude sur les résultats sociaux obtenus alors par cette législation si curieusement anticapitaliste.
Et comme pour associer la création tout entière à cette « remise en cause » sociale, pendant cette année jubilaire - aussi appelée année sabbatique -, toute culture était suspendue et la terre restait au repos. La vigne n’était plus taillée, et tous les champs restaient en friche.
Plus de mille ans après
Cette curieuse périodicité a si bien marqué des générations qu’après plus de mille ans d’interruption l’Église reprend la tradition, mais en la transposant au spirituel. Le Pape Boniface VIII, en l’an 1300, rétablit l’Année Jubilaire, mais la présente comme une « remise en cause » de chaque chrétien avec, comme seul signe extérieur, un pèlerinage aux tombeaux des Apôtres Pierre et Paul.
Depuis lors, chaque 25 ans, la tradition se maintient. Et, en 1950, à l’appel de Pie XII, parmi des millions de pèlerins, les Français organisèrent pour ce dernier Jubilé des pèlerinages et des cérémonies où il y avait autant d’initiatives nouvelles que de traditions...
L’année sainte de Vatican II
Les glapissements des démolisseurs professionnels se déclenchèrent aussitôt qu’il fut question d’une prochaine Année Sainte. Ils décrétèrent que l’humanité étant parvenue aujourd’hui à l’âge adulte, elle n’avait nul besoin de se « remettre en cause » par une Année Sainte. L’Église s’est posée la même question, et Paul VI a répondu par l’affirmative en promulguant une Année Sainte dans la perspective de Vatican II :
« Mais Nous nous sommes aussitôt convaincus que la célébration de l’Année Sainte peut se rattacher, de façon cohérente, à la ligne spirituelle du Concile lui-même, à laquelle Nous tenons à donner fidèlement la suite qui convient ; et, par ailleurs, une telle célébration peut très bien correspondre et contribuer à l’effort inlassable que l’Église, dans son amour, entreprend au regard des besoins moraux de notre époque, en interprétant ses profondes aspirations, et même en tenant compte de façon légitime de certaines formes préférées de ses expressions extérieures ».
La nouvelle Année Sainte sera donc très différente des précédentes. Jusqu’en 1950, le pèlerinage à Rome était l’essentiel, et pendant l’année suivante des pèlerinages locaux répercutaient les indulgences à gagner.
Cette fois-ci la chronologie est inversée. Depuis la Pentecôte 1973 - ce dimanche 10 juin - jusqu’à Noël 1974 c’est dans chaque diocèse que se réalisera l’Année Sainte. Ainsi pendant 80 semaines c’est sur les Églises locales que reposera l’opération jadis tout entière centrée sur Rome. Et c’est seulement après ces 80 semaines d’un minutieux travail de renouvellement sur le plan local que la phase de conclusion se présentera finalement sous la forme d’un pèlerinage au tombeau des Apôtres.
Une Année Sainte réduite à des seules manifestations romaines serait le privilège des classes aisées. Ce serait en 1975 un véritable scandale devant le Tiers Monde. L’originalité de ce nouveau Jubilé ce sont ces 80 semaines d’enracinement dans la remise en cause de chacun.
Réconciliation
Paul VI a fixé pour ce Jubilé un thème précis : la réconciliation.
On pense immédiatement que cela concerne « les autres ». Ces chrétiens irlandais s’ils prenaient à la lettre ce thème, comme ils donneraient au monde entier un exemple éclatant : année de la réconciliation en Irlande, Belfast sans un seul coup de feu, voilà une image de marque mondiale pour l’Année Sainte.
Ces multiples sectes chrétiennes de Jérusalem qui se chamaillent encore, si elles se réconciliaient en 1975, quel signe exemplaire pour le monde entier ! Autour du Sépulcre du Christ plus de concurrence pour un escalier ou un tapis. A Jérusalem, unanimité dans les chants et la prière commune : voilà une Année Sainte qui marquerait le Proche-Orient, et le monde entier.
On pense plus difficilement à son propre renouveau. Et cependant, Paul VI proclame cela comme première réconciliation à obtenir :
« Il faut refaire l’homme du dedans. Voilà ce que l’Évangile appelle conversion, pénitence, « metanoia ». C’est un processus de renaissance à soi-même, simple comme une prise de conscience lucide et courageuse, et complexe comme un long apprentissage pédagogique et réformateur. C’est un temps de grâce qui, habituellement, ne s’obtient qu’en courbant la tête ».
le temps du partage
Vous êtes saturés par les discours sur la crise du dollar, la hausse du pétrole, les jeux de la basse politique.
Voici enfin des voix d’une autre qualité : celle-ci convoque les jeunes pour leur Concile de Taizé. Celle-là nous convoque tous pour « se remettre en cause ».
Si pendant ces 80 semaines, chacun - comme jadis pour l’année sabbatique de l’Ancien Testament - réfléchissait 3 minutes sur ce départ à zéro, avec un regard vers le partage, ce serait plus révolutionnaire qu’une révolution.
Jean RODHAIN,
du Comité Central de l’Année Sainte.