1942, 43, 44...
Jean RODHAIN, "1942, 43, 44…", Messages de l’aumônerie générale, numéro spécial, 6 octobre 1945, p. 1.
1942, 43, 44
ELLES ne sont tout de même pas si loin, ces journées nationales où, à l’entrée de l’hiver, pour vingt-quatre heures seulement, un lien invisible se tissait des 40.000 paroisses de France aux 112.000 kommandos d’Allemagne.
Dans la paroisse, un office avec les enfants d’absents en prière. Dans le camp, une cérémonie avec, parmi toutes les provinces de chez nous, une place d’honneur pour Ie diocèse qui avait adopté le stalag. Et puis, surtout, dans quelques milliers de foyers, la certitude que, ce jour-là, une lettre semblait passer, une lettre sans phrases, et dont le Seigneur lui-même était le facteur.
Et puis, aussi, trois mois après, l’arrivée de quelques milliers de « Prières du Prisonnier » : traduction matérielle des offrandes de cette journée-là.
Et puis aussi, six mois après, la visite rageuse, ici, d’un Nième enquêteur de la Gestapo, inquiet de cette journée nationale de prières, dont aucun interrogatoire n’avait réussi à lui donner le sens exact.
Le sens exact d’une telle prière ne se révélera qu’à l’heure où tout l’invisible se désintégrera visiblement. Mais les absents d’hier, qu’ils soient aujourd’hui dans un sana des Alpes, ou dans une maison trop vide, ou même au milieu de leur famille retrouvée, ils re-gardent cette France d’octobre 1945, croyez-vous qu’ils trouveront inutile une journée commune, sans bruit, sans paroles, sans discours, une journée de prières ?...
S. Exc. Mgr Mercier, vicaire apostolique du Sahara, avait adopté le Stalag 325 : Rawa-Ruska. Le diocèse du désert brûlant priait pour nos prisonniers en Pologne.
Mgr Mercier, dans son costume blanc de Saharien, est arrivé il y a un mois au 120, rue du Cherche-Midi. Avec-ce réalisme du missionnaire habitué à abattre du chemin et du travail, il a dressé en dix phrases le bilan des journées de prières dans ses communautés éparses de Tamanrasset à Ghardia : Le légionnaire qui, brusquement, donne sa solde d’un mois. La famille chrétienne qui réserve un palmier ou un « demi-palmier » pour le stalag adopté...
« Quand je les ai quittés pour ce voyage en France, mes chrétiens m’ont demandé : « Alors, c’est fini ? On ne priera plus pour eux ? Parmi ceux qui rentrent, il n’y en a pas qui auront besoin de dattes ? On ne nous demande plus rien ? »
Ainsi le diocèse le plus éloigné, et le dernier-né au Christ, est le plus empressé...
C’est pour cela que la Journée Nationale de prières aura lieu le 14 octobre...
Abbé Jean RODHAIN.