Prisonniers de guerre allemands. Rendez-vous dans cent ans
Jean RODHAIN, "Prisonniers de guerre allemands. Rendez-vous dans cent ans", Messages de l’aumônerie générale, n° 11, 11 septembre 1945, p. 1.
Prisonniers de guerre allemands
« Rendez-vous dans 100 ans »
Les journaux américains citent la réponse de ce soldat japonais mourant, à l’officier vainqueur qui veut lui expliquer la défaite japonaise : « Rendez-vous dans cent ans »…
Dans ces cinq mots, il y a toute la ténacité japonaise, pour qui le temps ne compte pas. Il y a aussi la perspective de l’Histoire pour qui le temps est indispensable.
Dans cent ans nous ignorons quels auront été les rebondissements de la vitalité asiatique. Mais dans cent ans, au rendez-vous de l’Histoire, nous savons bien que les atrocités allemandes paraîtront plus atroces encore, avec leur bilan exact, et leur systématisation mise à nu.
Il faudra qu’il en soit ainsi : dans les « Messages de l’Aumônerie », en tous cas ; nous entendons bien, à chaque numéro, rappeler ce que des milliers d’êtres ont subi là-bas. Il faut l’apprendre parce que trop de Français en doutent encore. Il faudra le rappeler, pour que chacun perçoive jusqu’où peut aller l’homme lorsqu’il est livré à lui-même.
Il faudra le rappeler, et mettre en regard le geste de la France respectant la personne humaine, et traitant ses prisonniers de guerre d’après cette convention de Genève qu’elle a solennellement signé.
Rien ne sera plus éducatif pour les enfants, dans cent ans, que cette comparaison.
Parce que, n’est-ce pas, la France, champion de la démocratie, la France qui s’est libérée magnifiquement du nazisme, la France, fille aînée de l’Eglise, traite ses prisonniers avec...
Mais pourquoi est-ce que je n’ose continuer… pourquoi est-ce que cet énorme dossier sur mon bureau me gène pour achever ma phrase : ces lettres d’anciens prisonniers de guerre français qui demandent le jugement de leurs tortionnaires, mais s’indignent d’un camp de soldats ennemis, situé en France, où, chaque jour, cinq ou six sont trouvés morts de faim... Ce témoignage d’un village qui a vu son équipe de prisonniers de guerre allemands exécuté sans aucun motif, malgré les gardiens, par des jeunes gens sans mandat...
Est-ce vrai ? Est-ce exact ? Ces documents qui m’arrivent chaque jour sont-ils contrôlés ? Je demande à nos lecteurs, à nos correspondants de m’écrire, de me dire non pas ce qu’ils ont lu il y a six mois dans les journaux au sujet des oranges américaines mangées à longueur de journée par les prisonniers de guerre, mais ce qu’ils constatent en septembre 1945 dans les camps de prisonniers de guerre. Je demande aux rapatriés surtout, dont le témoignage est indiscutable, de m’écrire ce qu’ils observent et de donner leur appréciation Je demande à tous ceux qui ont passé avec moi la nuit de Noël dans la citadelle de Graudenz. en 1942, de me donner leur avis.
Ensuite, mais ensuite seulement, j’oserai achever mon article.
Jean RODHAIN.
Aumônier général des prisonniers de Guerre et Déportés.