Lourdes
« Lourdes », Messages de l’aumônerie générale, n° 18, 27 août 1946, p. 1.
Lourdes
La dernière station est dépassée. La prochaine, c’est Lourdes. Tout le compartiment est maintenant contre la portière. Ces huit hommes ne parlent plus. Ils enregistrent les images qui tournent régulièrement comme un film horizontal. Un pic. Un passage à niveau. Le Gave : c’est le Gave de Lourdes. Une basilique grise cent fois vue sur les cartes postales, et plate comme elles. Et là, au pied de sa silhouette, entre un buisson de béquilles et un buisson de cierges : la Grotte.
Quelques-uns chantent. Beaucoup se taisent. « Ici, depuis l’instant de ta promesse, Notre-Dame t’attendait... » II y a quarante trains remplis d’hommes méditant sur ce texte au passage du kilomètre 1,523 avant la gare de Lourdes. Ce rassemblement-là possède une unité certaine : la Foi.
Je regarde ces hommes. Ils sont tous au même tarif, quel que soit Ie wagon ou l’hôtel. Ils ont voulu l’unité comme au camp, je ne distingue pas même le prisonnier du déporté dans ce compartiment. Mais tout de même, regardez dans le filet, ces musettes, ces pauvres valises en carton : il est évident que la dominante de cette masse, c’est la simplicité. Les plus aisés sont-ils déjà venus avec leur famille ? Ont-ils préféré le voyage individuel ?
En fait, ce wagon est une tranche populaire de la France : de petits cultivateurs, des ouvriers, un petit curé de campagne. C’est la foule des isolés qui n’ont pas su, ou bien qui n’ont pas voulu aller isolément à Lourdes.
Ce pèlerinage est un pèlerinage populaire. Bernadette se reconnaîtra dans son recrutement.
Les prisonniers, depuis leur retour, ont tenu à se taire. Mais ce train qui sort de la nuit et maintenant s’écoule de la gare vers la Grotte dans le jour encore laiteux de ce 8 septembre vaut tous les discours. Le pèlerinage commence à peine, mais en cheminant dans les rues de Lourdes, chacun saisit bien sa note dominante ; ce pèlerinage, c’est chacun qui l’a bâti : On n’a pas demandé de subvention : Chacun a voulu prendre sa part de toute l’organisation. Il n’y aura pas de cortèges. Pas de personnalités. Pas de vœux. Pas de revendications. Seulement un contact...
Ce contact, qui n’est côté dans aucune Bourse, ce contact qui n’a de prix sur aucun marché, ce contact qui n’a de valeur pour aucun mouvement, aucun parti : ce contact avec Dieu. Malgré son journal qui le plaisante, malgré son voisin qui parfois l’effraye par ses cris, malgré celle-là dont le sourire le fait encore mieux reculer, chacun de ces hommes sait, à cette heure, qu’il revit certaines rares heures de captivité où il s’est trouvé face à face avec lui-même et avec Dieu. Ça compte.
L’Evangile est, en définitive, la plus révolutionnaire et la plus explosive de toutes les rencontres. Justement parce qu’il est le contraire de !a haine.
Nous sommes à Lourdes à l’aube du 8 septembre. Le pèlerinage des rapatriés est commencé...
Un Aumônier de Prisonniers,
J. R.