Mois de l’espérance
"Mois de l’espérance", MSC, n° 230, mai 1972, pp. 10-11.
Mois de l’espérance
A l’emplacement du village, il y a maintenant trois H.L.M. A la place du vieux cimetière il y a, depuis l’an dernier, un parking. Seule la vieille église romane est restée blottie, toute menue, au pied des hauts immeubles. La porte est entrouverte. J’entre dans cette nef obscure et vide. Pas si vide que cela car je perçois un curieux bourdonnement. Il provient du transept. Deux cierges tremblotent de chaque côté d’une statue fleurie abondamment. Il n’y a pas de prêtre. J’identifie le bourdonnement : ces gens disent le chapelet...
Maintenant je les observe sortir : ce ne sont pas des spectres, ce sont des vivants de tous calibres et de tous âges et certains vont rejoindre leur voiture au parking.
J’observe sur la porte la pancarte des « annonces de la semaine » : ce soir c’était l’office du mois de Marie... Je l’avais oublié. Ainsi, dans notre monde mécanisé et superorganisé, il y a toujours cette litanie secrète qui implore Marie, Mère de Dieu. Notre Espérance.
Un désert torride et interminable. Je ferme les yeux. Il me semble entrevoir un verre d’eau fraîche. Espérance.
A chacune de ses visites, j’observe le visage du docteur. Indéchiffrable. Un masque de marbre quand il regarde ma feuille de température. Le marbre de ce matin pour la première fois a bougé : une espèce de sourire sur ce visage pour me dire que l’opération a réussi. Espoir.
Gros livre poussiéreux, la Bible reste, au bout du rayon de la bibliothèque. Un soir, au hasard, voici un verset qui a l’air d’être écrit pour cette heure exacte. Même la page entière semble sans poussière. Espérance préparée pour moi depuis deux mille ans.
Mon voisin m’en veut certainement. Jamais un mot. Mon voisin a des raisons contre moi, évidemment. Je ne lui adresse jamais la parole, d’ailleurs.
Mais ce matin je l’ai vu sourire à mon chien. Le sourire de celui qui comprend les bêtes. Bon signe. Demain, je lui parlerai de ses rosiers. Espoir.
Cinq paquets de « gauloises » par jour. Le docteur m’a prévenu. Rien à faire. Ma femme me supplie. Impossible de diminuer.
Depuis lundi, je réussis à ne pas fumer avant midi. C’est une bataille. Je tiens depuis six jours. Je me sens capable de gagner celle bataille du tabac. Espoir.
Il m’a remercié pour ce que je lui ai dit l’an passé le 21 septembre. Cette date ne me dit rien. Il prétend que mes trois phrases ont été décisives pour son orientation. Je n’ai aucun souvenir d’une seule phrase. Il y a donc parfois un poids secret dans un mot que nous ne calculons point. Je ne suis donc pas tout à fait inutile. Espoir.
Des journées interminables et qui se ressemblent toutes. Même menu monotone à chaque repas : Lassitude.
J’ai rencontré l’aveugle et sa nuit interminable. J’ai entendu le captif dont les jours se ressemblent tous.
J’ai pesé le menu du réfugié bengali.
Si je me compare, je suis un privilégié.
Chaque heure est une perle sans prix.
Le peu que j’ai, je puis le partager.
Un mot. Une fleur. Un silence.
Espérance !
SIDOINE.