Yves Michonneau relit Diaconia 2013
Au colloque de la Fondation Jean-Rodhain les 8-10 novembre dernier, Yves Michonneau a relu Diaconia 2013 pour le diocèse de Nantes.
Texte en téléchargement tout en bas !
Diocèse de Nantes
Vécu et bilan de la démarche Diaconia
Les fruits de la démarche
1° La mise en œuvre de Diaconia dans le diocèse de Nantes.
a) Le dispositif mis en place dans notre diocèse :
• Le comité de pilotage 44 a été mis en place par notre évêque en juin 2011 pour être opérationnel début septembre. Il est composé de 5 personnes engagées dans le service du frère (le délégué épiscopal à la Diaconie, un aumônier de prisons, un aumônier de clinique, une animatrice déléguée par le Secours Catholique, un jeune qui n’a pu participer qu’une année pour raison de travail).
• Des référents Diaconia pour toutes les paroisses (sauf 2 ou 3 sur 80 qui ne sont pas rentrées dans la démarche), et tous les réseaux identifiés (mouvements, associations, congrégations…), qui ont relayé la démarche au plus près du terrain.
Etapes de la démarche :
• Une réunion de lancement a eu lieu en septembre 2011 pour présenter la démarche dans son ensemble et le détail de 2011/2012 : le lien entre la Parole et la Diaconie. Tous les référents des réseaux et les paroisses ont été invités à entrer dans la démarche et à écrire les livres.
• De très nombreuses rencontres se sont déroulées et des milliers de pages de merveilles et de fragilités, de toutes provenances, ont été écrites. Elles ont donné lieu à une relecture au niveau du diocèse, qui a abouti à ce document : « des paroles et des gestes ».
• En juin 2012, point sur la première étape et présentation de l’année 2012/2013 : Diaconie et liturgie. Nous nous sommes aperçu que les paroisses dans leur ensemble, les mouvements d’action catholique, les religieux et religieuses, les associations caritatives, la pastorale de la santé… étaient entrés dans la démarche, et avaient écrit des livres, alors que les groupes charismatiques (sauf le Renouveau) n’avaient pas donné suite à la première réunion.
• Désignation des délégués à Lourdes au carême 2013, en invitant les zones pastorales à regarder où se vit la diaconie avec les plus démunis. La plupart des paroisses se sont posées la question : où se vit quelque chose de significatif de la charité du Christ ? Dans quels lieux ? Et elles ont invité des personnes aux multiples fragilités, souvent aux marges de la société et de l’Eglise.
Le résultat a été que nous avons eu une délégation de 253 personnes, dont 1/3 en précarité. Beaucoup n’étaient jamais venus à Lourdes. Un certain nombre n’avaient jamais quitté leur cité ni dormi à l’hôtel.
• Au niveau des zones pastorales une rencontre des délégués avec des responsables pastoraux et les référents Diaconia a permis de se connaître et de préparer Lourdes.
• Envoi des délégués par notre évêque le 13 avril 2013 par une célébration festive. Distribution à tous les délégués de l’ouvrage « Être frères, des paroles et des gestes », merveilles et fragilités dans le diocèse de Nantes.
b) Le rassemblement de Lourdes :
• Nombre de participants : 253.
• Composition : des militants et responsables d’associations, des membres d’EAP (laïcs surtout, prêtres et diacres en petit nombre), 1/3 de personnes en difficulté, peu de jeunes - JOC essentiellement et jeunes professionnels, car l’aumônerie des étudiants a massivement orienté les jeunes et les séminaristes vers le pèlerinage diocésain qui avait lieu 15 jours avant.
• Implication dans les forums et les animations :
Forte implication dans 3 forums : la famille, Travail social et bénévolat, Roms.
• Les facteurs de réussite de cette démarche dans votre diocèse :
o L’implication de l’Evêque,
o L’organisation : COPIL 44 + référents. Au long de ces deux ans, 17 courriels ont été envoyés par le COPIL 44 aux référents, avec copie aux curés et EAP pour relayer les initiatives nationales, faire des propositions et accompagner la démarche.
o Le Comité Diocésain Vigilance et Solidarité qui regroupe l’ensemble des associations, et services diocésains impliqués dans la diaconie, les pôles de solidarité des paroisses* et les associations (surtout Secours C., mais aussi CCFD et SVP) ont été moteurs sur le terrain.
o Une expression continue sur les deux années dans le bulletin diocésain « Eglise en Loire Atlantique », des émissions régulières sur Radio Fidélité (le RCF44) dans le cadre de l’émission du comité diocésain Vigilance et Solidarité : « Vies solidaires ».
Surtout :
o Les lieux d’accueil des plus démunis animés par des chrétiens dans le diocèse (Gens de la rue, lieux d’accueil dans les cités, pastorale des migrants, Chemin d’Espoir, groupes de convivialité du Secours Catholique…), la pastorale de la santé… La plupart des personnes fragiles sont venus de ces structures avec des binômes accompagnés/accompagnants.
c) Les freins, les obstacles rencontrés localement ou au niveau du diocèse :
• Des résistances chez certains curés (orientés liturgie et de style très classique voire tradi) ; mais, certains ont été boostés par les associations ou les pôles de solidarité des paroisses.
• Le lien entre Parole et Diaconie a été plus facile à vivre dans la démarche que le lien entre liturgie et Diaconie. Peu de paroisses ont utilisé le Magnificat « Célébrer, Servir ». Cependant, il y a des contre exemples : une paroisse a fait un planning pour associer à chaque équipe liturgique un groupe ou une personne qui s’était exprimé dans les livres. Certaines rencontres ont été un peu « dé-coiffantes » pour des équipes habituées aux copier/coller de « Signe ». Par exemple avec des personnes des cités… Mais au final, très intéressantes…
• Des résistances de certaines EAP qui ont trouvé la démarche compliquée…
• La non implication des mouvements charismatiques et « spirituels » que nous avions invités à prendre part à la démarche. Ces entités n’entrent pas, en général dans la dynamique diocésaine, ce qui n’est pas sans poser de problèmes.
2° Les fruits de Diaconia : ce qui a bougé dans le diocèse grâce à cette démarche…
a) …dans la place plus grande faite par notre Eglise aux personnes ou aux groupes en situation de précarité ou de fragilité :
Avec Diaconia, il y a eu un sentiment de reconnaissance réciproque entre paroissiens et personnes en fragilité. « Dans l’église, on nous regarde, on nous dévisage, ici à Diaconia, on est reconnu » Cette prise de conscience ne concerne qu’une minorité… 2 délégués en moyenne par paroisse, c’est peu pour sensibiliser les paroissiens ‘ordinaires’. Cependant, dans beaucoup de paroisses, les délégués ont pu rendre compte du vécu à Lourdes, et cela a été bien apprécié.
b) …dans l’ouverture des communautés chrétiennes à la réalité de leur environnement.
• Des prises de conscience avec la découverte de lieux d’accueil peu connus des paroissiens où des personnes fragiles sont écoutées et peuvent s’exprimer…
• Des croisements se sont produits entre associations caritatives et paroisses qui, sur un même secteur, s’ignoraient.
c) …dans le décloisonnement de la diaconie par rapport à la vie sacramentelle et à l’annonce de la Parole, dans son intégration à la pastorale
Le travail effectué durant ces deux ans a certainement contribué à une évolution des mentalités… mais beaucoup reste à faire.
• Le lien entre Diaconie et Parole est certainement plus explicite.
• L’affirmation que la Diaconie est un lieu source pour notre Foi a fait son chemin. En servant le frère, à la manière de Jésus, nous devenons chrétiens. Le service du frère est un chemin d’humanité et de foi pour le chrétien.
• Le lien avec la liturgie est vécu de façons très diverses par les communautés chrétiennes. Dans certaines paroisses, les curés et EAP continuent comme avant… La liturgie est un tout en soi…
d) …dans la croissance de la vie fraternelle au sein des communautés chrétiennes, dans la qualité du vivre ensemble à tous les niveaux de la vie ecclésiale :
Pour ceux qui étaient à lourdes :
• Changement dans le regard porté les uns sur les autres. Des préjugés et des barrières sont tombés. (Dans notre groupe, vis-à-vis des gens du voyage et des Roms notamment- et réciproquement- ; mais aussi de personnes qui avaient connu et connaissent de vraies galères avec des fragilités multiples : chômage, santé, parcours chaotiques, problèmes psychologiques…).
A titre d’exemple, l’expression spontanée de Paul, père de famille Rom quand Nathalie l’a ramené chez lui : « je te jure, Nathalie, jamais de toute ma vie, j’ai vu quelque chose d’aussi beau... Là-bas, ce n’était pas "chacun pour soi", les gens étaient gentils, J’ai vu beaucoup de fraternité...Là-bas, j’ai vu que Dieu est pour tout le monde »...
• Prise de conscience de nos réflexes liés à nos milieux sociaux, à nos cultures… et de l’ignorance de ceux qui sont hors de notre cadre de vie habituel.
A titre d’exemple, cette famille très aisée de la Baule, qui s’est retrouvée en fraternité avec une mère de famille de gens du voyage. Découverte complète et imprévue des uns et des autres, si bien qu’à la fin du rassemblement, la famille de la Baule a promis d’aller voir cette maman et ses enfants sur le terrain des voyageurs de Saint Nazaire. J’ai eu confirmation, par le diacre de la Baule, que cela s’est bien produit et se prolonge par l’engagement de cette famille avec les gens du voyage…
• Il y a eu un sentiment de reconnaissance réciproque entre paroissiens ordinaires et personnes en fragilité. Nous avons pris conscience que devant Dieu, nous sommes tous égaux et nous avons tous à nous apporter quelque chose de précieux. La solidarité vécue sur le mode de la fraternité, ce n’est pas seulement agir en faveur des pauvres, mais agir avec eux. Le défi est alors de ré-humaniser nos rapports humains souvent dé-humanisés.
• Pour nos communautés, début de prise de conscience que les petits et les personnes marginales n’ont pas la place qui devrait leur revenir dans la vie de l’Eglise.
Question : comment proposer des lieux et des temps de rencontres où tous aient leur place ?
3° Les pistes pour l’avenir/Conclusions.
a) La suite à la démarche Diaconia dans le diocèse de Nantes :
• La suite est une des préoccupations du conseil des orientations épiscopal.
• Une réunion des référents Diaconia et des responsables des pôles de solidarité est prévue prochainement pour voir ce qui germe sur le terrain suite au rassemblement de Lourdes… et pour donner des orientations et des idées aux paroisses et aux réseaux transversaux…
• D’autre part, ceux qui sont allés au rassemblement de Lourdes expriment clairement le désir de poursuivre, de se rencontrer, de vivre des moments fraternels d’échange et de célébrations.
b) Que faudrait-il faire à présent : au plan local et au plan diocésain ?
1) Décloisonner : Le croisement des zones pastorales et des divers réseaux a été très riche lors de la démarche. Diaconia a été l’occasion pour des paroissiens de découvrir l’existence de lieux d’accueil (par exemple, du Secours catholique) sur le territoire de leur paroisse. Dans certaines paroisses ou zones pastorales, des rencontres ont eu lieu avec les délégués au rassemblement de Lourdes et des membres des Equipes d’Animation Paroissiale ou des réseaux. Les liens créés doivent se prolonger, s’approfondir et se pérenniser ; donc, faire en sorte que ce qui se vit avec les pauvres dans des structures « spécialisées » nécessaires (S.C., Chemins d’espoir, Cap ACO, Lieux d’écoute et d’accueil) soit partagé avec les communautés paroissiales.
2) Prise en compte de la diaconie par les communautés paroissiales, au même titre que l’annonce et la célébration, car la diaconie est, aussi et inséparablement, constitutive de la Foi.
Dans les projets pastoraux,
• Intégrer le rêve du pape François : « Une Eglise pauvre pour les pauvres ».
• Porter les lieux où se vit quelque chose de significatif de la Charité du Christ avec les plus démunis. Les paroisses qui ont eu ce souci ont été le fer de lance de Diaconia dans le diocèse.
Au niveau des EAP :
• Nommer une personne dans l’EAP qui soit identifiée comme référent de la diaconie sur la paroisse.
• Structurer et animer le pôle Diaconie des paroisses (accueil, solidarité, santé…)
Pôle (ou comité) de solidarité des paroisses (ou des zones pastorales) :
• Créer un pôle de solidarité, là où il n’existe pas. Les liens créés dans la démarche Diaconia2013 peuvent servir de base.
• Dynamiser les pôles existants : à partir du vécu et des rencontres autour de Diaconia, élargir et ouvrir ces pôles aux personnes en précarité.
c) Cette dynamique est-elle appelée à se poursuivre ou n’a-t-elle été qu’un « coup d’épée dans l’eau » ?
Il faudra une réelle volonté des évêques, des prêtres, des diacres et des laïcs pour qu’il y ait un changement dans les communautés chrétiennes. Car :
• Autant la liturgie et l’annonce sont structurées dans chaque communauté chrétienne, autant le service du frère est à géométrie variable… et souvent dédié à des spécialistes ou à des services (associations externes, SEM, aumôneries qui n’ont pas beaucoup de liens réels avec la vie de la communauté). La liturgie dans un certain nombre de paroisses est « hors sol ». C’est beaucoup plus simple !
• Des prêtres et beaucoup de séminaristes ne sont pas sensibilisés et formés à la diaconie et ne discernent pas son rôle central dans la vie chrétienne. La plupart des séminaristes du séminaire interdiocésain de Nantes n’avaient pas entendu parler de Diaconia 2 mois avant le rassemblement. Un seul est venu de Nantes, 2 du Mans !!!
Cependant, à partir des personnes qui ont vécu le rassemblement de Lourdes, il est souhaité et possible (ça se fera sur le diocèse de Nantes dans de nombreuses zones pastorales)
• D’envisager par paroisse ou zone pastorale, avec les réseaux, une journée de la fraternité (pourquoi pas la journée du Secours Catholique ?) qui serait un temps de partage, de fraternité et de célébration avec les plus fragiles, où les plus démunis puissent s’exprimer…. et avoir une place au sein de la communauté chrétienne.
• De se retrouver entre militants chrétiens investis dans les mêmes réalités pour partager les difficultés et les espoirs, en faisant ensemble une relecture de leurs engagements (par exemple auprès des Roms sur Nantes)
d) Avons-nous le sentiment d’avoir fait œuvre utile et en quoi ? Notre Eglise a-t-elle avancé, dans quel sens ?
Oui, mais nous sommes loin de faire en sorte que :
• Les personnes en situation de fragilité aient la place qui leur revient dans nos communautés. Il faut développer le sens du partage et de la fraternité au cœur de nos communautés, mettre en valeur les lieux ou les actions de solidarité.
• Les communautés chrétiennes vivent la diaconie en tant que communauté. Nos liturgies restent souvent dans le lien entre Dieu et chacun personnellement, avec une tendance actuelle (qui vient aussi bien des charismatiques que des « traditionnalistes ») à être dans le registre de la louange, mais peu dans le service du frère et l’engagement (ce qui est chanté dans nos célébrations en est un bon indice).
Comme diacres, notre mission est de faire en sorte que nos communautés deviennent diaconales en servant le frère et en priorité les plus petits. Comme ministres ordonnés au service, nous avons à être signes et moteurs dans la manière de vivre la fraternité.
La démarche Diaconia a été un outil formidable qui a provoqué des rencontres fructueuses et fait bouger ceux qui se sont sentis concernés par la démarche… Maintenant, il faut que cette dynamique de la fraternité transforme nos communautés…
Yves Michonneau
Le Hautmont, 9 novembre 2013
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