La charité de l’Eglise
Jean RODHAIN, "Introduction", p. 11-14 dans Robert HERRMANN, La charité de l’Eglise, de ses origines à nos jours, Mulhouse, Salvator, 1961.
La charité de l’Eglise
Introduction
Nous surabondons de chimistes qui analysent l’eau de mer et nous manquons de solides marins sachant affronter les vagues.
Ainsi, en face de la misère.
En avons-nous entendu, depuis des années, de ces chimistes de l’humanité ? Stylo en main, ils exposaient, prouvaient et démontraient que, dans "le sens de l’histoire", l’humanité était parvenue à un "tournant" tel que Charité était périmée.
Pendant ce temps, heureusement, la bonne Sœur de Charité tenait bon, sans rien dire, au chevet de l’agonisant.
Mais ces analystes de la vie religieuse ont tellement écrit et enseigné, que leur mentalité a déteint peu à peu sur une masse déjà atteinte par un marxisme inconscient.
Résultat : en de vastes secteurs de chrétienté, on vit se raréfier les vocations vers les activités charitables.
Les yeux s’ouvrent enfin.
Les yeux de la foi, d’abord . Les textes de l’Évangile sur la Charité sont paroles du Seigneur qui ne passeront point. Et lorsque le Seigneur déclare qu’au jour du jugement, le critère sera le pain donné à l’affamé et le vêtement placé sur la nudité, il n’a point ajouté qu’en telle année, le sens de l’histoire rendrait caduc le sens terrible de la sentence éternelle.
L’historien précisera même que dans la vie de l’Église les périodes où l’activité de sa charité s’est refroidie ont amené un engourdissement de la foi, exactement comme dans l’expérience spirituelle de chaque âme, l’atrophie de la charité non exercée obscurcit peu à peu le regard. L’égoïsme tue le mystique aussi sûrement que le manque d’oxygène asphyxie le non-mystique.
Les yeux de l’homme, ensuite.
Après avoir salué l’ère de la justice sociale accomplie, et proclamé le bonheur de l’humanité, nos théoriciens butent sur l’injuste situation des deux tiers de l’humanité affamée. Nous sommes à l’ère de la faim dans le monde, avouent nos prophètes effondrés d’autant plus qu’en ce "tournant de l’histoire", le progrès leur dévoile dix fois plus de "réfugiés" qu’aux tournants antiques.
Un tremblement de terre gigantesque ou une petite pneumonie vient rappeler à l’atomiste sa fragilité et sa misère, aussi stupidement qu’aux siècles d’obscurantisme.
Après avoir proclamé qu’une législation en progrès résolvait tous les besoins, nos prophètes restent muets devant l’incurable, ou l’agonisant, ou le désespoir.
Qu’il faille adapter les secours aux dimensions de ce siècle, qu’il faille susciter, animer, pénétrer les institutions sociales, nationales et internationales, bien sûr.
Mais la misère attend d’être regardée du regard de la Charité.
Les yeux de l’apôtre enfin.
Bien des candidats à l’apostolat moderne inscrivent en tête de leurs "méthodes adaptées" les procédés de diffusion découverts dans le dernier catalogue d’un bazar technique.
Et puis, ça passe vite, très vite. Et puis, ils s’aperçoivent que le Seigneur Jésus n’a jamais fait de réclame pour une marque de parchemin perfectionné, qu’Il n’a même - Lui, le Verbe - rien écrit de sa main. Ils se rendent compte qu’Il n’a jamais propagé une technique...
Ces candidats à l’apostolat réussissent en apparence. Et auprès des âmes qu’ils dirigent, ils s’aperçoivent que, sans l’ascétique d’une charité exercée humblement, ça ne tient pas. Il y a eu le Mandatum et les gestes très humbles des pieds lavés, nettoyés, essuyés, au même jour que l’Eucharistie et le Sacerdoce institués. Le même jour, cela veut dire quelque chose.
Il y a eu les Béatitudes, mais au même lieu que le pain partagé ...
Il est facile de faire une conférence. Il est plus difficile d’être militant. Il est plus difficile encore de passer les dernières heures avec l’agonisant et de savoir l’aider : ça c’est le banc d’épreuve ou seule subsiste la Charité. Mais celle-là ne s’apprend dans aucun livre. Elle s’apprend, comme le jardinier qui s’instruit en jardinant, terre à terre, humblement, matériellement.
Un pape nouvellement couronné s’empresse, bousculant les ankyloses de son protocole, de visiter une prison et des hôpitaux.
Ce n’est qu’un geste. Mais on en reparle partout. Ce geste a libéré des chrétiens qui avaient peur d’être en retard.
Alors que la Charité est toujours « en avance ». La Charité d’aujourd’hui, c’est la Justice Sociale de demain. La Charité du diacre Etienne éveille la charité de milliers de générations, comme la charité de Martin, officier, ouvre le cœur de millions de jeunes, méditant sur le manteau partagé.
Saint François, au XXe siècle, ajouterait à son Cantique une strophe pour faire chanter la Gloire de Dieu par l’atome et l’uranium. Saint Vincent de Paul, au XXe siècle, apprendrait aux enfants qu’ils seront les Mazarins de l’an 2000. Ou plutôt que ces futurs ministres ou responsables de l’an 2000, ayant des charges immenses pour nourrir des milliards d’hommes, auraient besoin, dès l’enfance, dès maintenant, d’apprendre la Charité envers les hommes.
L’Alsace, pays de foi et de bon sens, a su garder ses vocations charitables en éveil.
La Caritas d’Alsace a été l’ouvrière attentive et vigilante de ce travail.
En publiant cet outil de travail, elle rend un nouveau et apprécié service.
Monseigneur Jean RODHAIN
Secrétaire Général du Secours Catholique