Quand l’Eglise se fait Fraternité
Patrice Sauvage, diacre permanent, administrateur de la Fondation Jean-Rodhain et Animateur du comité de suivi théologique de Diaconia 2013 a consacré son mémoire de licence canonique de théologie à relire l’événement, sous la direction d’Etienne Grieu, doyen du Centre Sèvres - Facultés Jésuites de Paris.
Présentation, par l’auteur.
Durant près de trois années, l’Église de France s’est engagée dans une démarche particulièrement innovante : Diaconia 2013/Servons la Fraternité, qui s’est conclue par un rassemblement enthousiasmant à Lourdes à l’Ascension 2013. Ayant eu la responsabilité d’animer le comité de suivi théologique de Diaconia, j’analyse dans ce mémoire les différentes étapes de cette dynamique pour en tirer des enseignements sur l’avenir de l’Église, en j’y formule l’hypothèse suivante : face à la crise du vivre ensemble que traverse notre pays, l’Église n’est-elle pas appelée à devenir avant tout un espace prophétique de fraternité, qui mette les pauvres et les souffrants au cœur de sa vie spirituelle ?
Un premier chapitre met en regard la crise bien connue du lien social avec la recherche de la fraternité, « espoir en clair obscur » (C. Chalier) caressé par tant de philosophes et de politiques mais qui, de fait, appartient à la tradition chrétienne et que celle-ci a oublié comme le déplore notamment Joseph Ratzinger : le nom initial de la communauté chrétienne n’était-il pas « Fraternité », avant d’être « Église » (M. Dujarier) ? Cet oubli de la fraternité est à mettre, selon moi, en relation avec la perte de ce que Christoph Theobald appelle « le sens du Royaume », ce Royaume annoncé par Jésus et que les chrétiens ont rejeté dans l’au-delà alors qu’il est à construire et à accueillir ici et maintenant. Or, ce qui caractérise ce Royaume, c’est bien la fraternité !
A partir de cet étayage conceptuel, la démarche Diaconia est décrite comme un chemin expérimental emprunté par l’Église de France pour apporter sa contribution à l’émergence de ce « Royaume de Fraternité » et ainsi faire face à la crise du vivre ensemble. Trois étapes marquent ce chemin vécu en 2011-2013.
C’est d’abord le repérage des « signes des temps » qui a été effectué sur le terrain par les chrétiens mobilisés dans Diaconia, à travers la rédaction de « livres des fragilités » et de « livres des merveilles ». Ces milliers de témoignages font bien état des difficultés de relation qui marquent notre société, de cette exclusion et de cette non-reconnaissance (Honneth) vécues par une grande partie de nos concitoyens, mais ils mettent aussi en évidence une « fraternité du quotidien », avec des petites initiatives souvent modestes, mais qui fondent le lien social : le Royaume n’y est-il pas déjà présent ?
Ensuite est abordé le travail réalisé au plan national par le comité de suivi théologique et par le groupe « Place et parole des pauvres », qui ont approfondi l’« exigence de fraternité ». Deux axes majeurs de la fraternité, telle que le Christ nous y appelle, y sont soulignés : la dimension spirituelle de celle-ci, qui n’est pas une simple conséquence de la foi mais en est constitutive (A. Durand, E. Grieu) – et qui fait donc partie nécessairement d’un chemin de foi comme le relève avec tant d’insistance le pape François ; la priorité qui doit être donnée aux plus fragiles, à ceux que notre société, mais aussi notre Église, tendent précisément à rejeter, alors qu’ils ont tant à nous apporter, y compris au plan spirituel. Ainsi, c’est en se « décentrant » vers eux que les chrétiens pourront vraiment vivre la fraternité.
Enfin est décrit dans un dernier chapitre le rassemblement de mai 2013 qui a pu faire dire à beaucoup que le Royaume de Dieu était déjà là, à travers en particulier la place donnée à la parole des pauvres et un mode d’organisation privilégiant des relations simples et fraternelles entre les participants. Le caractère néanmoins confidentiel de l’événement, bien qu’il ait réuni 12.000 personnes, dont un tiers de personnes démunies, manifeste pour moi les difficultés de l’Église avec la communication et avec la dimension politique. Les suites de Diaconia pour l’Église sont également abordées, où il apparaît que l’épiscopat français est resté prudent malgré les déclarations si encourageantes du pape François, laissant chaque évêque engager ses propres initiatives : ainsi se dessine une « Eglise-Fraternité à géométrie variable », certains diocèses manifestant une grande créativité et d’autres préférant tourner la page.
En conclusion, je reste optimiste en estimant qu’il y a bien, dans cette recherche de fraternité ancrée dans les plus pauvres, un « horizon de sens » (P. Ricœur) pour les chrétiens au plan spirituel comme au plan de l’engagement social, une option « mystico-prophétique » (D. Tracy) que l’Église devrait privilégier comme mode d’action politique. Finalement, la démarche Diaconia n’est-elle pas à sa manière la mise en œuvre, cinquante ans après, du Concile Vatican II face à ce « signe des temps » qu’est pour notre pays la crise du lien social ? « Une Église pauvre, pour les pauvres » (pape François) est ainsi appelée à être sacrement du Royaume de Fraternité vécu et annoncé par le Christ.
Patrice Sauvage