Une réhabilitation de la charité : Cor Unum
« Une réhabilitation de la charité : le nouveau conseil pontifical "Cor unum" », Messages du Secours Catholique, n° 222, septembre 1971, p. 4.
Une réhabilitation de la charité : le nouveau conseil pontifical "Cor unum"
Une préoccupation de Paul VI
Le 4 octobre 1965, à New York, devant l’O.N.U., le Pape Paul VI a solennellement déclaré :
« Nous voulons donner à nos institutions caritatives un nouveau développement contre la faim du monde et en faveur de ses principaux besoins : c’est ainsi, et pas autrement, qu’on construit la paix. »
Ce projet de 1965, Paul VI le précise le 30 juin dernier :
« Nous avons l’intention de créer un organisme nouveau du Saint-Siège dont l’objet sera de faciliter une meilleure coordination, ainsi qu’un plus ample et plus intense développement de l’activité charitable de l’Église dans le monde. »
La Charité, une nouvelle impulsion à donner aux activités charitables, tel est l’objet principal de la création de ce nouvel organisme de la Curie romaine.
Une exigence de l’actualité
Actuellement, trop d’évêques du Tiers Monde sont obligés, hélas ! de quitter leur poste pour venir négocier, en Europe ou en Amérique du Nord, des subventions pour leurs œuvres.
Si les fidèles donnent abondamment pour aider les Missions ou soutenir les œuvres du Tiers Monde, il y a, par contre, dans l’Église un réel gaspillage d’argent et d’hommes en raison d’une absence d’harmonisation sur le plan international.
L’harmonisation est donc un des buts de cette création.
Mais en 1971, l’actualité ne réclame pas seulement la coordination.
Actuellement, on assiste à un renversement total dans l’attitude des évêques du Tiers Monde. Ils ne veulent plus une aide colorée d’un néo-colonialisme. Ils n’admettent plus des secours portant des étiquettes nationales trop marquées. Ils entendent que leurs Églises d’Asie et d’Afrique s’épanouissent à partir de leurs richesses humaines, de leurs cultures, de leurs traditions, de leurs personnalités. C’est dans ce sens que ces évêques entendent travailler au développement et y être aidés sans que cette aide vienne peser sur l’expérience et la formation de leurs responsables locaux. Cette réaction est nouvelle.
Elle s’est exprimée clairement au dernier Synode. Elle se manifeste aujourd’hui d’une manière de plus en plus vigoureuse et véhémente . Dans les pays confortables, on ne s’en rend pas compte. Dans les organismes internationaux non plus. A Rome, on le perçoit mieux. Voilà une des raisons de la création de ce « nouveau » Cor unum : « Il coïncide particulièrement avec les devoirs actuels de l’Église ».
Un fruit tardif du Concile
Dans tous les décrets et textes conciliaires, la place de l’action charitable est si souvent rappelée que l’on a pu publier une véritable anthologie de ces rappels.
Or, pour cette action caritative proprement dite, avant le Concile il n’existait, dans la Curie romaine, aucun organisme la concernant.
On me rappellera l’existence de « Caritas Internationalis ». Je le sais bien. Je sais aussi que ni la confiance marquée à « Caritas Internationalis. », ni les missions confiées à son président ne modifiaient en rien son statut juridique : c’est une confédération internationale, c’est une O.I.C. (Organisation internationale catholique) ; ce n’est pas un organisme du Saint-Siège.
Et voici que les travaux du Concile viennent de porter un fruit plus tardif : au niveau des structures du Saint-Siège, un organisme nouveau est créé pour s’occuper de cette action caritative proprement dite, il s’appelle « Conseil pontifical » et le président de cet organisme désigné par le Pape est le Secrétaire d’État lui-même.
La lecture attentive du texte constitutif éclaire l’aspect essentiel de « Cor unum » : ce n’est pas une fédération de bonnes volontés qui s’organise, c’est l’Église qui, revenant à la Grande Diaconie de saint Laurent, veut donner une place significative et une impulsion nouvelle à l’Action caritative, « Sceau de l’apostolat chrétien ».
Une prise en charge par l’Église tout entière
S’il ne s’agissait, comme certains qui n’ont pas lu les textes se l’imaginent, que de coordonner les organismes existants, il aurait suffi d’une table-ronde. Présidée par une autorité, elle aurait réuni, pour les harmoniser, toutes les institutions spécialisées dans l’action caritative en général ou, plus spécialement, dans le développement.
Or, dans l’énumération des entités concernées par Cor unum, certes ces organismes sont nommés, mais au troisième rang seulement. Dès son premier paragraphe, la lettre déclare que sont concernés par cette fondation - en union avec le Pontife Romain - d’abord les ministères de la Curie romaine, ensuite les évêques du monde entier. Les organismes charitables ne sont nommés qu’après. Et par trois fois (paragraphes 1, 4 et 6), il est rappelé que c’est tout « le Peuple de Dieu » qui est concerné par cette fondation.
Nous sommes donc fort loin d’un Bureau de coordination d’œuvres. C’est un appel à toute l’Église pour la réhabilitation de l’action caritative aux dimensions modernes.
Au-dessus du bavardage suraigu des haut-parleurs actuels, le simple fait de la création de Cor unum va apporter un singulier réconfort à tous les serviteurs de la charité, depuis le visiteur de prison jusqu’à l’infirmière des vieillards. Deo gratias...
Et peut-être que, dans certains diocèses où de nouveaux Conseils essayent de représenter l’Église locale, on songera à y insérer aussi l’action caritative.
Les réactions
Par deux fois, « l’Osservatore Romano » a publié de nombreux témoignages reçus au Vatican et provenant du monde entier : ils se félicitent de la création de Cor unum.
Mais il n’y a pas unanimité. Des publications catholiques allemandes et françaises ont attaqué cette création, certaines avant même que le texte du document constitutif ne soit publié.
Je comprends très bien ces attaques, parce que j’y vois deux raisons :
Il y a d’abord tous ceux qui n’ont étudié ni les textes du Concile sur la charité, ni le texte constitutif de « Cor unum ». Ceux-là, ne connaissant pas ces structures, sont partis en guerre contre les moulins à vent de leurs imaginations. C’est normal. Ce sont les mêmes, d’ailleurs, qui, si Rome créait demain n’importe quoi, prendraient le soir même, a priori, position « contre ». C’est devenu aujourd’hui une habitude morbide chez certains « fidèles ».
Parmi les opposants de la première heure, il faut aussi noter, en second lieu, ceux qui hésitent à prendre une position claire : acceptent-ils, oui ou non, un rattachement visible de leurs activités aux directives du Saint-Siège et dans le Tiers Monde un travail tenant compte des réactions des épiscopats ?
Les risques
Tout pouvoir est instinctivement centralisateur. Il y a toujours un danger à court-circuiter les corps intermédiaires. Le Concile Vatican II a heureusement commencé à élaguer dans certains Bureaux romains qui avaient peu à peu centralisé à outrance.
Par analogie, certains calculent les dangers d’un Cor unum qui, au lieu d’harmoniser, en viendrait à absorber et à centraliser. On voit immédiatement les dangers d’une telle tendance : à la base, on se désintéresserait d’une action caritative tenue trop directement en main par un pouvoir lointain.
D’autre part, le Saint-Siège lui-même n’a aucun intérêt à se substituer aux fonctions diaconales.
En 1971, le, public est cent fois plus ouvert que, jadis aux événements internationaux : qui nous dit que Cor unum, loin d’assumer toutes les tâches, ne proposera pas à l’initiative du peuple de Dieu de nouvelles initiatives à prendre.
Il serait vain de calculer longuement les risques d’un prototype qui n’est pas encore sorti du bureau des dessinateurs. On ne connaît pas encore la composition de ce « Conseil », ni le nombre de ses participants. Et une fois composé, ce Conseil, après une période expérimentale, devra « élaborer et rédiger les normes » de travail à soumettre à l’autorité. Nous sommes donc à un point de départ. Il n’est donc pas possible de faire des pronostics. Mais Il est possible de se réjouir de cette réhabilitation officielle de la charité.
Jean RODHAIN,
Président de « Caritas Internationalis »