Conclusions du congrès pour les 10 ans de Deus caritas est
Deus caritas est : 10 ans déjà. Pour célébrer cet anniversaire, un congrès s’est tenu à Rome les 25 et 26 février 2016. Les Actes du congrès viennent de paraître en italien. Conclusions, en français
Deus caritas est : 10 ans déjà. Pour célébrer cet anniversaire, un congrès s’est tenu à Rome les 25 et 26 février 2016. Les Actes du congrès viennent de paraître en italien. Conclusions, en français...
Deus caritas est : 10 ans déjà. Pour célébrer cet anniversaire, un congrès s’est tenu à Rome les 25 et 26 février 2016. Les Actes du congrès viennent de paraître en italien. Conclusions, en français...
Voir en particulier au n° 7, l’appel à une théologie de la charité.
Mgr Giampietro Dal Toso
Secrétaire du Conseil pontifical Cor Unum
"La Charité ne passera jamais"(1 Co 13, 8) : Deus caritas est, les perspectives, 10
ans après
(Cité du Vatican, 25 et 26 février 2016)
Conclusions
Chers amis,
Après ce temps d’écoute et de partage, nous arrivons au terme de notre rencontre qui s’est tenue en cette Salle Nouvelle du Synode. Mais nous la conclurons de manière définitive en remerciant le Seigneur au cours de la célébration eucharistique qui sera présidée par le Cardinal Sarah, notre Président émérite. Je souhaiterais avant cela, formuler quelques conclusions en guise de synthèse qui pourront être utiles à notre travail au sein des institutions que nous représentons ici.
1. Ce congrès a réaffirmé l’actualité de l’encyclique Deus caritas est. Il ne s’agit donc pas d’un document obsolète, mais bien d’un document qui est actuel et qui a gardé toute sa pertinence. Le Pape a déclaré ce matin que « l’encyclique conserve intacte toute la fraîcheur de son message, par lequel elle indique l’orientation toujours actuelle du cheminement de l’Eglise ». L’exhortation apostolique Evangelii gaudium d’ailleurs a été également repris le principe selon lequel la mission de l’Eglise se fonde sur la réciprocité entre la parole, les sacrements et le service de la charité.
L’actualité de la Deus caritas est consiste en ce que les principes fondamentaux qu’elle a tracés n’ont pas perdu de leur valeur mais qu’au contraire ils continuent à orienter, -aujourd’hui avec plus de force -, notre service de la charité. Il me semble donc que la première conséquence pratique qui s’en dégage, est la nécessité d’une relecture de ce texte tant au niveau personnel qu’au sein de nos institutions. De cette façon la vision poursuivie par notre congrès pourra être portée aux réalités dont nous sommes les représentants, et réactualiser ainsi les motifs qui sont à la base de notre engagement.
2 . De manière concrète, il y a certains points fondamentaux que la réflexion de ces jours nous pousse à partager. Le premier regarde le concept-même de charité. Le Saint-Père au cours de sa visite à Cor Unum et ce matin encore au cours de l’audience, a réaffirmé l’importance de la charité qui, a-t-il dit,« est au centre de la vie de l’Eglise et en est vraiment le cœur ». La Cardinal Müller déclarait que la charité est la vie de Dieu et qu’elle anime la communauté des croyants et il précisait que « la diaconia comme charité du Christ est expression de la nature de l’Église ». Le Cardinal Tagle, quant à lui, soulignait que nous avions peut-être oublié ce point central dans la vie de l’Eglise, affaiblissant de la sorte la proclamation-même de l’évangile et la vie sacramentelle. En outre nous avons trop souvent identifié la charité avec l’aumône ce qui a nuit à tout notre service et ceci pour deux raisons ; d’une part nous avons réduit à un aspect purement financier, un comportement, une vertu chrétienne, voire même « le nom de Dieu »que nous avons d’une certaine façon, vidé de son sens. D’un autre côté nous avons été obligés d’emprunter des concepts non chrétiens pour exprimer le cœur du christianisme. Ici nous avons rappelé que la charité est Dieu lui-même, et c’est en tant que telle que le Dieu des chrétien s’est manifesté : c’est pourquoi la charité demeure pour toujours. Nous avons repris les paroles de Saint-Paul pour ce congrès : « la charité ne passera jamais ». La charité représente aussi la finalité de l’homme puisqu’il est appelé à partager la vie de la Trinité qui est justement charité. C’est pourquoi l’invitation qui nous est adressée à redécouvrir et utiliser le concept charité dans son sens plénier garde toute sa valeur. Il y a eu des variations sémantiques dans les différentes langues : mais nous pouvons nous engager, en ce qui nous concerne, à employer ce concept dans le plein sens de son terme, puisqu’il exprime l’origine divine de la charité et donc celle de notre service. Parce qu’il exprime pleinement le sens de ce que nous faisons, il serait opportun d’utiliser à nouveau ce mot dans la désignation des services qui gouvernent ce secteur de l’Eglise. Il ne suffit pas de dire « social » pour définir notre service mais « caritatif »,- ce qui est plus approprié.
3. La Deus caritas est affirme que Dieu nous recherche pour réaliser notre bien. De même que Dieu nous recherche pour notre bien - et c’est lui qui nous recherche le premier-, analogiquement nous recherchons nous aussi l’homme pour réaliser son bien. C’est précisément à partir de cette analogie avec le comportement de Dieu à notre égard que nous comprenons combien la foi est essentielle à notre service puisqu’elle nous insère dans la même dynamique que celle de Dieu et elle nous aide à regarder l’autre avec ses propres yeux. Il s’agit de faire nôtre l’amour de Dieu pour l’offrir aux autres. L’insistance sur cette dimension de foi dans notre service ne n’est pas due à un problème identitaire, comme si nous devions nous séparer ou nous distinguer des autres, mais pour que chacun de nous ait la même attitude de Dieu à l’égard de l’homme dont il est au service. Ceci implique la compréhension, la liberté, la patience et rechercher le bien de la personne et de toute la personne. Dans la foi, avoir le même regard de Dieu sur l’homme, signifie également avoir une vision de l’homme telle que Dieu nous l’a révélée.
4. Nous touchons là une question absolument centrale : quelle anthropologie guide-t-elle notre action ? Nous pouvons nous demander très simplement : Que signifie pour notre travail considérer l’homme que nous servons comme l’image de Dieu, voulu et créé par Dieu, blessé par le péché originel, appelé à partager la vie éternelle de Dieu, et ontologiquement ouverte à la relation avec l’autre ? Pouvons-nous le réduire à un simple consommateur ou à un simple ayant-droit sans l’impliquer dans la pleine réalisation de son être - homme, corps et âme ? Il est un homme libre que Dieu traite avec liberté. Aussi ne pouvons-nous pas lui imposer notre vision, par contre nous pouvons favoriser sa liberté. Le prof. Asolan, en commentant Jean Vanier, proposait de regarder le pauvre avec les propres yeux du pauvre et de nous laisser interpeler par ce qu’est le pauvre et ce qu’il nous demande. Allons plus loin, dans un regard christologique : s’il est vrai que le Christ a choisi la croix alors nous le rencontrons dans les crucifiés d’aujourd’hui. J’ai été touché par l’observation du prof. Hadjadj ;il a carrément affirmé que la charité est ce qui sauve l’homme, corps et esprit, dans la culture actuelle, où l’hérésie- pour rappeler les paroles du Prof. Hadjadj – ne vise pas la vérité mais l’amour. En effet l’amour a été réduit à un sentimentalisme à la merci de la technologie, alors que la charité se fait garante de la chair. Tertullien affirmait : caro salutis cardo - le salut s’enracine dans la chair. Les paroles du Saint-Père nous reviennent en mémoire, selon lesquelles la charité doit toucher la chair. Il s’agit donc d’éviter de réduire l’homme à un objet qui peut être modifié au gré de nos projets et avoir le courage de faire face aux défis qui touchent à sa corporalité et à sa spiritualité. Je suggère ainsi de poursuivre la réflexion sur l’anthropologie que nous utilisons et d’en dégager les conclusions appropriées pour notre activité caritative, sans oublier que tout ceci relève de la foi, c’est-à-dire d’un regard qui correspond à ce que Dieu nous a révélé. Les réflexions et les témoignages nous ont également indiqué une méthode : l’encyclique Deus caritas est, affirme que la foi est une rencontre. Ainsi, comme Dieu me rencontre en tant que personne, de même je rencontre l’autre en tant que personne. La méthode est celle de la rencontre personnelle. Etre avec le pauvre signifie bien plus que simplement donner. On a souligné que la relation personnelle est le premier lieu où l’on peut réaliser la charité et la justice. Le service de l’autre n’est pas authentique s’il n’y a pas une rencontre de personne à personne : la dimension personnelle précède toute autre dimension, même celle qui concerne la structure.
5. Les défis qui nous attendent aujourd’hui sont tels que nous ne pouvons travailler tout seuls mais nous devons chercher des compagnons de voyage. La présence, à notre congrès, de conférenciers appartenant à d’autres religions montre que nous élargissons nos frontières - selon les mots du Pape Benoît XVI- car c’est ensemble que nous pouvons aider la personne. La meilleure forme de collaboration entre les religions est celle qui permet à l’homme moderne d’être attentif à cette vie de l’esprit grâce à laquelle son comportement à l’égard d’autrui peut changer. La religion n’est pas une cause de conflit mais au contraire un motif de rencontre pour introduire dans le monde une force de bien. Ceci s’appuie sur le fait que Dieu est pour nous tous le créateur et face à Lui, nous avons la responsabilité de notre frère. La miséricorde que nous avons reçue de Lui est un don de miséricorde pour nos frères. La collaboration réciproque est aussi une façon de travailler pour chacun de nos organismes. La complexité des problèmes aujourd’hui nous pousse à travailler avec les autres, et nous incite à nouer des partenariats ; le souhait d’une meilleure collaboration entre les organismes catholiques est également apparu. Il est difficile d’en trouver des formes officielles, souvent cela relève de la bonne volonté. Cor Unum a cependant le devoir institutionnel de favoriser la collaboration entre les différents organismes de charité de l’Eglise.
6. Un autre aspect concerne le témoignage. Si notre action trouve son point de départ en Dieu parce qu’Il est charité, cela signifie qu’elle témoigne aussi de Lui. Il arrive que les paroles accompagnent notre témoignage, parfois ce n’est pas possible. Mais si nous sommes mus par l’évangile du Christ alors le témoignage de Dieu s’effectue de lui-même. C’est justement ce qui différencie du prosélytisme qui d’une certaine façon veut contraindre à la foi. Le témoin, lui, sait qu’il n’œuvre pas en son nom propre mais que son témoignage renvoie à quelqu’un d’autre, qu’il est présent au nom de quelqu’un d’autre qui est justement Dieu. Nous sommes des coopérateurs de Dieu, non par devoir mais à cause de l’exigence intrinsèque de la charité. Ainsi l’évangile et la charité vont de pair, ils ne s’opposent pas car le travail exprime l’amour de Dieu pour l’homme. Cette sollicitude ne peut pas être une loi ou une obligation imposées par le haut, mais elle est un élan intérieur capable d’animer toute notre activité et de trouver les solutions, - qui ne sont jamais a priori et uniformes - aux diverses problématiques que nous rencontrons. De la sorte, le service de la charité devient aussi une forme d’évangélisation dans le contexte actuel où il y a plus de bénéficiaires de nos services que de personnes fréquentant nos églises. Le Pape l’a dit ce matin avec une phrase qui s’adressait à nous tous : « Tous ensemble nous contribuons concrètement à la grande mission de l’Eglise qui est de communiquer l’amour de Dieu, qui ne demande qu’à se diffuser ». La formation de notre personnel reste dès lors impérative, comme l’ont souligné les divers conférenciers en commençant par le Dr Thio.
7. Le témoignage a des répercussions également sur la situation politique et sociale dans laquelle nous vivons et nous devons prendre en compte cette dimension, bien qu’elle ne soit pas propre à l’Eglise. L’importance politique de la charité est un fait que nous avons pu constater à plusieurs occasions. Il en est découlé la création d’un espace public où nous pouvons apporter la nouveauté chrétienne pour être l’âme du monde, un espace donc où l’on défend la dignité de la personne. Le Cardinal Tagle a d’ailleurs souligné que la politique divise dans ses effets alors que la charité est universelle. Ceci demande notre attention : la poursuite de la justice ne doit pas compromettre notre appel à la communion. Grâce à notre présence concrète, les situations peuvent changer car la personne est capable de changer ! Permettez –moi de mentionner ici le grand travail de réconciliation que nous pouvons effectuer, même dans des situations délicates, comme M. Moussalli en a témoigné, en évoquant son expérience en Syrie.
Enfin je voudrais m’arrêter sur une ultime considération : renforcer la théologie de la charité. Le sujet nous a été présenté de façon détaillée et je souhaite vraiment qu’il puisse être repris dans nos différents lieux de travail parce qu’il mérite d’être approfondi. On nous a parlé de l’expérience réalisée par la première Caritas au monde, celle allemande, fondée en 1897. En 1925, à Freiburg i. B. il a été institué une chaire à la faculté de théologie, concernant la praxis de la charité. Ce qui signifie, comme l’a souligné le prof. Gehrig, que l’action caritative concrète a besoin d’un soutien théologique spécifique qui n’est pas constitué uniquement par la doctrine sociale. En effet cette dernière traite des activités qui ont pour sujet la société alors que l’activité caritative a pour sujet l’Eglise. Nous touchons là un point fondamental : L’Eglise est aussi une société visible mais elle n’est pas que cela, la vie ecclésiale par conséquent répond à des critères qui sont différents de ceux de la vie sociale tout court. C’est pourquoi elle nécessite d’une réflexion – englobant aussi le domaine de la charité- qui respecte cette spécificité. Dans ce domaine on peut répondre aux questions relatives au lien entre l’amour divin et l’amour humain, à la dimension ecclésiale, à l’enracinement christologique du service de la charité en tant que service ecclésial. Nous aimerions faire la proposition suivante : que dans chaque pays il y ait un lieu d’approfondissement de la théologie de la charité et avant cela, qu’il y ait au sein des organismes une réflexion sur les critères qui dirigent notre action. Il est urgent que, dans la formation théologique, surtout celle qui s’adresse aux prêtres, il y ait une formation spécifique à la charité. Si le service de la charité est essentiel pour l’Eglise, alors nous ne pouvons pas le négliger dans la formation des futurs prêtres afin qu’ils se sentent davantage impliqués et qu’ils apprennent les méthodologies et modalités nécessaires.
Le Cardinal Müller déclarait qu’en ce moment ce ne sont pas tant les « réserves intellectuelles » mais plutôt « un manque de confiance en la force de l’amour divin qui change le monde et donne l’espérance ».
L’absence de confiance en cet amour divin qui change le monde et qui offre l’espérance » qui provoquent ce si grand éloignement de l’Eglise. C’est pourquoi notre activité qui met en pleine lumière la charité de Dieu devient essentielle.
Notre Conseil pontifical Cor Unum veut offrit une aide et un soutient en tous ces domaines. Je remercie profondément tous ceux qui ont contribué à la réalisation de ce congrès, je m’adresse en particulier à l’équipe de notre Dicastère, aux traducteurs et aux journalistes mais je remercie surtout tous ceux qui ont participé à ce congrès et qui transmettront son message dans leurs églises locales.