Il manque quelque chose
Jean Rodhain, « Il manque quelque chose… », Amitié. Bulletin d'Information des Questions Sociales, n° 1, février 1951, p. 2.
Il manque quelque chose…
Ce film est magnifique. On a dépensé vingt millions de dollars pour la catastrophe finale. Les couleurs sont parfaites. Le ton des voix est juste. L'acoustique, pour une fois, est excellente. Il n'y a pas une erreur, ni dans la reconstitution historique, ni dans les gestes, ni dans les regards. Au moment où l'héroïne meurt je dois convenir que j’en ai eu exactement pour mon argent. Clac. Voici la dernière image. La salle s'éclaire : l'écran blanc me hurle que tout était exact mais factice. Eh ! parbleu, je savais trop bien que le célèbre acteur n'était pas devant moi, je n'en avais que son ombre (exacte) et que son ton (exact). Mais lui-même il n'était point devant moi. Il manquera toujours au cinéma, une présence humaine. Ça ne se remplace pas.
Ce vieillard a reçu la visite de l'infirmier. Toutes les drogues octroyées par la Sécurité Sociale sont exactement sur sa table. L'inspecteur de la caisse vieillesse est venu même à domicile lui régler intégralement sa pension. Tout est en ordre. La justice sociale a joué son rôle. La société est quitte. Et cependant ce vieillard regarde vers la porte. Il guette, il espère qu'elle s'ouvrira aussi pour la visite d'un homme aux mains vides mais au cœur plein. Il attend un ami, ou s'il n'en a plus il attend encore une visite d'amitié d'un inconnu... Il attendra jusqu'à son dernier souffle, tellement c'est un besoin du cœur humain.
Dans notre monde de plus en plus techniquement perfectionné, dans les progrès, même destinés à donner l'aisance et le confort et la justice au prochain, il manque quelque chose.
C'est pourquoi j'applaudis à toute initiative qui vient mettre un peu de cœur, un peu d'humain, un peu de contact véritable en ce monde...
Mgr Jean RODHAIN.