Retour de voyage
Jean RODHAIN, « Retour de voyage », Bulletin de liaison du Secours Catholique, n° 21, septembre 1948, p. 1‑2.
Retour de voyage
A moins d’être aveugle, on ne peut pas voyager en Europe sans apercevoir, ici et là, des préparatifs qui ne sont pas précisément des préparatifs de paix.
- Sans être expert militaire, on peut remarquer qu'il y a deux ans les journaux parlaient pudiquement des difficultés internationales, mais évitaient d’employer le mot « guerre ». Aujourd’hui ils ne se gênent plus, ni pour parler d'une guerre à venir ni pour calculer ses probabilités, ses conditions, sa proximité même. Dans cette hypothèse, que l’on ne peut plus écarter absolument, dans cette répétition à grande dimension d’une expérience récente et des misères qu’elle entraîne, vaut-il mieux oui ou non dans un diocèse avoir en place le réseau d'une délégation de secours et de ses représentants ?...
- Sans être certain d’une conflagration générale pour demain, on doit déjà constater qu’aujourd'hui comporte un certain nombre d'incendies locaux. On se bat en Grèce. On se bat en Palestine, en Yougoslavie, en Indochine (et peut-être encore en certains lieux dont les journaux ne parlent pas…) Dans cette bataille éparpillée il y a de la casse. Cette semaine les 600 chrétiens captifs de l’armée israélite à Tel Aviv ont demandé des secours au 120 rue du Cherche-Midi. Chaque paroissien voudra participer à ces secours. Mais comment y parviendra-t-il si le Secours Catholique diocésain ne se met pas à sa disposition par son réseau ?…
- Sans être optimiste, imaginons tout de même un instant que cette guerre soit à tout jamais évitée, que dès ce soir ces batailles soient toutes stoppées. Il resterait que tous ces pays ont encore à se guérir : même cette France, où tant de Français sont lents à regarder en face leur état de convalescence. Un convalescent est un demi-malade. Il a besoin de soins, de ménagements, de secours. Pendant les années qui viennent, même si tout va bien, nous serons un pays où tous devront se priver et donc chacun secourir son prochain.
Ainsi, que nous regardions au loin, ou à côté de nous, que nous soyons, optimiste ou pessimiste, la conclusion est la même : des misères qui appellent des secours. C’est évident même pour le plus rationaliste des cerveaux flottant dans un bocal de la pharmacie de M. HOMAIS.
Mais le chrétien médite simplement l’Angélus du soir, et entrevoyant avec autant de tremblements que de joies les profondeurs de l’amour du Christ, comment peut-il, comment ose-t-il en parler à son prochain de 1948. Si pour lui parler de cet amour il s’avance vers nos misères les mains vides ?
D’autre part, des milliers d’âmes, dans le secret de leur cœur, découvrent cet amour inconcevable dont elles sont aimées par le Christ, cherchent un moyen d'y répondre, une occasion de traduire ce qu’elles devinent. Leur vie intérieure prendra les dimensions de leur réponse, elle s’atrophiera ou s’épanouira suivant qu'elles auront été guidées ou non vers les misères où le Christ finalement pour qu’elles apprennent à L’aimer. L’exercice de la Charité est un aliment de vie intérieure.
Ainsi la vie intérieure de milliers d’âmes dépend de la manière dont un diocèse sait rendre l’amour du Christ « parlant », et mettre en contact avec la vraie misère ces âmes qui ne la connaissent pas encore.
Ne cherchez pas, dans votre diocèse, à qui incombe cette tâche : c’est à vous, délégation.
Jean RODHAIN