Signature pour la paix
Jean RODHAIN, « Signature pour la paix », Messages du Secours Catholique, n° 12, juillet-août 1950, p. 1.
Signature pour la Paix
Dans cette Rome plus que jamais carrefour du monde, deux canonisations viennent de dérouler leurs rites séculaires.
En présence de pèlerins de toutes races, de toutes langues, de tous costumes, deux saintes ont été placées sur les autels. L'une est une reine de France qui, après une vie bousculée et un foyer brisé, dut attendre trois siècles sa canonisation ; l'autre est une petite bergère de 12 ans, si bien notre contemporaine, que sa maman en personne assistait à la cérémonie.
Or, pour sainte Jeanne de France, comme pour sainte Maria Goretti, les foules assemblées virent s'avancer vers le Souverain Pontife un pittoresque cortège. A l'offertoire, des prélats apportèrent des dons. L'un présentait un pain, l'autre un tonnelet de vin. Celui‑ci portait de la cire, le suivant un gâteau ; un protonotaire tenait une cage avec une colombe, tandis que son voisin se signalait par les cris d'une douzaine de serins nullement intimidés dans leur cage dorée.
Cent mille fidèles ont pu détailler tout un cortège d'offrandes très matérielles. C'est le rite exact de la vieille messe pontificale, avec la participation de toute l'Assemblée au secours des pauvres et des malades. C'est le pain partagé. C'est dans la solennité des ors et du soleil, des chants de la grand'messe pontificale, l'Eglise nous rappelant à tous le devoir de charité matérielle.
Loin de ces solennités, à la même heure, dans le secret, un geste incroyable y faisait écho.
Tournant en rond entre leurs barbelés, des centaines de milliers de D. P. sont parqués dans leurs camps depuis cinq ans. Ceux qui s'imaginent que les captivités injustes sont réservées au Moyen Age ou aux régions barbaresques devraient aller visiter, à deux heures de chemin de fer de notre propre frontière, ces convois de «personnes déplacées». L'O. N. U. a réussi, grâce à l'I.R.0.[1], à replacer dans des pays neufs la plupart des hommes capables de travailler. Restent comme un résidu les enfants, les malades, les vieillards. Personne n'en veut.
Et voici qu'il s'est trouvé, en Europe, une maison pour leur ouvrir sa porte. C'est une maison française. Ce sont les Petites Sœurs des Pauvres. Hier, au siège social du Secours Catholique, un contrat était solennellement signé entre l'I.R.0. et le Secours Catholique, ratifiant ce geste évangélique. Pendant des années, les Petites Sœurs vont soigner, laver, nettoyer, garder un millier de ces vieillards. Et ceci sans un mot de réclame. Et ceci sans aucune rente viagère. Une allocation d'entrée si réduite que personne n'oserait prendre ce risque. Une confiance dans la Providence telle que les autorités internationales qui avaient échoué à toutes les portes s'écrièrent : « C'est du pur Évangile ».
Ainsi dans quelques jours, des centaines de vieillards, captifs depuis cinq ans, rejetés par toutes les frontières, victimes de la guerre, vont trouver enfin, en France, la paix.
Ce geste des Petites Sœurs des Pauvres, cette signature qui va leur coûter des nuits et des jours, et des années de travail, ne vaut‑il pas pour la paix toutes les signatures de tous les manifestes de la paix.
Jean RODHAIN