A Rome (suite)
Jean RODHAIN, « A Rome (suite) », Bulletin de liaison du Secours Catholique, n° 28, avril 1949, p. 1.
A Rome (suite)
On croit facilement, à voir les photographies des Gardes nobles et de la pompe romaine, que ce décor sépare le Pape[1] du peuple. Je n’en ai pas l’impression.
Rome est une des rares villes du monde où dans chaque quartier le palais de marbre voisine avec l’échoppe en plein vent. C'est un plaisir sans cesse renouvelé pour le flâneur de voir ces boutiques presque sans devanture, avec le matelassier, le cordonnier, l'ébéniste au travail. Et tout cela est intercalé entre un palais et une ambassade. Le peuple romain bon enfant, aimable, et misérable, occupe vraiment sa ville. Et au Vatican il pénètre plus facilement qu’à l’Elysée. Plusieurs fois par semaine tous les jeunes mariés ont droit à une audience commune. Chacun peut voir le Saint Père et baiser son anneau. Dans beaucoup d’évêchés je connais des concierges qui n'admettraient pas ce défilé de jeunes ménages.
Dans beaucoup d’œuvres le souci d’administrer correctement garnit peu à peu le Comité comme on garnit une cheminée. Il n'y manque plus que le feu, hélas. Ca présente bien. Ca ne réchauffe plus.
Que ce contact avec le pauvre et la misère devienne dans nos délégations, de plus en plus étroit. C'est l’essentiel du Secours.
Après ce repas de 3.000 vieillards, on nous fait de multiples compliments. La dominante portait sur l’organisation. Il est vrai que les autobus spéciaux ont déversé leur lot de convives avec exactitude. Il est évident que chaque groupe paroissial a reçu un plan et des tickets numérotés lui permettant de rejoindre sa place sans erreur. Mais je n'en suis pas fier du tout. N'importe quelle administration tant soit peu expérimentée et méthodique peut en faire autant. Un constructeur de réveille-matin, ou un paveur de rue fait aussi un travail méthodique. Sans cela, ce ne serait même pas un « travail » véritable.
Mais au sortir du repas, ce banquier qui avait présidé une table était bouleversé. Sa voisine, 83 ans, gagnait sa vie actuellement comme encaisseuse d'une compagnie d’assurance en faisant du porte à porte. Il n'y avait jamais songé.
Cet autre me confiait : « je n’ai plus la conscience tranquille. A ma table, une vieille de 79 ans, recevant au dessert, sa boîte de lait, m’a avoué n'en avoir pas bu depuis deux ans. »
Faire voir le pauvre Lazare sur son escalier : bouleverser par ce spectacle les gens trop tranquilles. Secouer par ce contact les consciences trot satisfaites. C'est le premier but du Secours. Le Secours est une pédagogie. Le Secours est une éducation. Le Secours est un apprentissage de misère : mettre chacun en contact avec elle.
Et dans chacun, il y a d’abord chacun de nous...
Abbé Jean RODHAIN
[1] Je ne parle pas des « bureaux », ni de l’administration du Vatican.