Préface pour la Traduction française de "pourquoi je suis devenu prêtre"
Jean RODHAIN, « Préface » in Cal. SPELLMAN, R.P. Thomas MERTON, Mgr SCHEEN, Pourquoi je suis devenu prêtre, Tours, Mame, 1954, p. XI-XV.
Préface pour la traduction française de l'ouvrage américain : Pourquoi je suis devenu prêtre[1]
PARIS, Epiphanie 1954
Je conserve un souvenir inoublié de l'accueil du clergé américain. A Chicago, comme à New-York, à Boston comme à Washington, dans les évêchés comme dans les paroisses, j'ai été accueilli par des athlètes directs, consciencieux, gentils, rudes et braves.
C'est la fraîcheur d'une Eglise jeune, bourrée de vitamines et de "grâces actuelles", généreuse, franche, et simpliste. On se demande quels itinéraires directs ces pionniers ont suivi depuis leur équipe de base-ball jusqu'à l'autel de leur première messe.
Et voici un volume qui nous livre ces itinéraires de prêtres américains. Il nous fait même dans sa simplicité, entrevoir ce "drame" de la vocation sacerdotale.
Ce drame de la vocation sacerdotale, un Français le mesurera toujours avec davantage d'anxiété. Avec trop d'anxiété peut-être. Mais notre tempérament de latin analytique à l'excès est ainsi fait que le dernier vicaire de banlieue s'interroge sans cesse - jusqu'à l'angoisse - sur les dimensions profondes de son Sacerdoce.
Placé entre Dieu et les hommes, le prêtre, dès les premières marches de l'autel, devine le terrible mystère auquel il va être associé. Après des années de ministère, il lui suffit d'un seul jour de silence pour avoir, dans ce monde sans mystère, le vertige en face de la réalité du Sacerdoce : celui qui donne le "Sacré".
Le flot du film et du roman aura beau présenter du prêtre cent images superficielles, le flux et le reflux de l'opinion publique auront beau tour à tour se passionner pour telle ou telle formule de prêtre d'actualité, le désir d'apostolat le plus désintéressé pourra même accoler à son titre tous les adjectifs susceptibles de l'attacher aux missions ou bien au monde ouvrier, il reste finalement qu'une seule réalité demeure, un seul caractère ineffaçable subsiste. Il est "prêtre". Prêtre tout court. Et ce mot seul dit tout, et le dit terriblement.
Les modalités passeront. Devant l'histoire mouvante, la Rédemption seule reste la seule Histoire. Et dans la Rédemption, un seul est chargé de prêcher le dogme, et un seul marqué pour célébrer le sacrifice, et un seul pour relier Dieu aux Hommes : c'est le prêtre.
Certains sont angoissés pour garder le lien avec les hommes. Mais finalement chaque prêtre véritable et vrai sait très bien que le lien difficile à trouver et à garder, c'est le lien avec Dieu.
Le Curé d'Ars l'avait trouvé, et du même coup, sans artifice ni métier spécial, il avait contact avec l'homme de toute classe sociale. Le vieux curé de campagne qui meurt presque solitaire, rayonne finalement d'une manière aussi insaisissable que celle du prêtre de Tamanrasset célébrant seul, et n'étant prêtre que par son seul sacerdoce sans accessoires.
Le catéchisme à l'enfant, l'assistance du mourant, le dernier dialogue avec l'agonisant, c'est plus difficile à tenir que la discussion en atelier.
La messe et les sacrements qui ne sont que le rayonnement de la messe, remplissent le prêtre d'un pouvoir qu'une seule heure de contemplation conduit au vertige.
La solitude apparente du Christ à la troisième heure du Vendredi Saint est en réalité surpeuplée de l'humanité toute entière. En cet instant d'abandon total, ce Souverain Prêtre touche, rejoint, et pénètre chacun des milliards d'hommes d'un contact qu'aucun contact charnel ne saura même imaginer. C'est en cet instant de déréliction totale, une multitude atteinte autrement vaste que la foule rassemblée au Mont des Béatitudes ou que les quelques voisins de l'atelier de Nazareth. Si l'on doutait un seul instant de ce mystère élémentaire, il n'y aurait plus qu'à transformer les séminaires en petites écoles normales pour militants perfectionnés. Mais c'est un rayonnement de cet ordre du Mystère divin que participe - même dans l'église vide - la consécration quotidienne du pain et du vin. Et le pauvre homme qui est marqué pour cette puissance et pour cette gloire, pour cette solitude et pour ce rayonnement, restera sans cesse écartelé entre ce pain qu'il consacre, et le feu qui le possède pour cette foule littéralement affamée, à la fois proche et si lointaine.
Dans le cheminement, dans le douloureux cheminement de l'humanité, cette intercession n'a pas de prix. Depuis le cri de St Paul en son Epître aux Hébreux jusqu'au dernier mot de l'Apocalypse, l'Église tiendra envers tous pour le mystère de l'autel du sacrifice matinal. Et le peuple ne se trompe pas, qui veut, et cherche avant tout un "prêtre".
Nous voudrions en chaque pays, trop vite donner à nos prêtres une silhouette extérieure fabriquée par nos coutumes nationales. Voici dans cette mappemonde qui bascule vers un axe nouveau, voici des vocations véritables, voici des itinéraires parfois imprévus pour nous. Tant mieux. Cherchons en ces paysages nouveaux, aux cheminements apparemment simples, à deviner la main du Souverain Prêtre qui se sert parfois d'écritures droites, parfois de lettres penchées, pour toujours écrire une histoire jeune : celle de l'Église du Christ : Son sacrifice est sa véritable jeunesse.
Introibo ad altare Dei,
Ad Deum qui laetificat juventutem meam.
Jean RODHAIN Prêtre
Prélat de Sa Sainteté
Secrétaire Général du Secours Catholique
[1] composé en collaboration par : Le Cardinal SPELLMAN, R. P. Thomas MERTON, Mgr SCHEEN, etc ...