Regardez une gravure
Jean RODHAIN, « Regardez une gravure », Le Figaro, 25 février 1958.
Regardez une gravure
Regardez une gravure de 1875 ou une photo de 1885 : la Basilique existe, mais l'Esplanade n'est encore qu’une prairie. Mais à l'emplacement actuel de la Vierge Couronnée, on est intrigué par la présence d'une immense rotonde, avec, autour un fourmillement de peuple : c'est la première Cité-Secours. C'est en 1872 qu'elle fut inaugurée solennellement. A la demande de Ste Bernadette, c'est Henri Lasserre, le premier historien de Lourdes, qui l'avait fait construire pour accueillir les pèlerins pauvres... Nous n'avons rien inventé.
Nous avons seulement, à la veille du Centenaire, voulu reprendre la tradition.
Depuis 10 ans, le Secours Catholique avait ce projet. Et subitement une demande pressante de Monseigneur THEAS, l'occasion providentielle de 18 hectares en terrasse au-dessus de la vallée, à deux pas de la Grotte, un achat conclu en 48 heures, et voici la Cité-Secours qui commence, il y a de cela deux ans.
Sans Gala ni Kermesse, nous avons compté sur tous ceux qui rêvaient de silence et de paix. Dépassant la colline du Chemin de Croix, des milliers de visiteurs sont venus. Une fois dépassée la zone du commerce et de l'hôtellerie, ils ont découvert cette prairie incomparable, ces rochers qui gardent le voisinage imprenable. Devant soi, dans la brume matinale, le Château-Fort silencieux et le clocher de l'Église. Au loin, les pics d'Argelès et à gauche les frondaisons de Bartrès : voici au centre de la Cité, la copie de la Bergerie de Bernadette. Pas une copie de Musée Grévin, avec des mannequins. Non : de vieilles pierres, les mêmes poutres, de la chaume authentique, et à l'intérieur, sans cesse, des silhouettes à genoux, car elles se sentent chez elles.
Venez visiter notre Cité. L'architecte Laborde a su adapter les formes bleues du granit et de l'ardoise aux lignes du paysage. Les pavillons-bergeries semblent un troupeau, un instant immobilisé à l'orée des châtaigniers. Comme un bouquet de cèpes voici, transformées en dortoir, les vieilles fermes au seuil de la forêt.
Venez voir. Et surtout devinez comme ici, les matins sont calmes avec le seul chant de l'oiseau, comme les soirs sont silencieux avec la ville que l'on n'entend plus. Devinez comme cette foule de 700 pèlerins que nous abritons chaque soir, est elle-même silencieuse. Ils se sentent «chez eux». C'est leur premier et unique voyage, à tous ces pèlerins qui s'apparentent de si près à Bernadette, la plus pauvre enfant de la famille, la plus mal logée de Lourdes 1858.
Cent ans après nous avons fait cette folie de construire ici sans magasin ni commerce. Ici, on ne vend rien. L'un apporte son miel. Celle-ci arrive avec une douzaine d'œufs. D'autres viennent les mains vides. Des responsables nationaux des diverses CARITAS lavent la vaisselle.
PAIX. SILENCE. PAIX : Venez visiter notre Cité.
Mgr Jean RODHAIN