La flèche de lumière
Jean RODHAIN, « La flèche de lumière », Messages du Secours Catholique, n° 78 bis, mai 1958, p. 1.
La flèche de lumière
NOUS voici donc arrivés à Lourdes pour le Centenaire de Notre-Dame apparaissant à qui ? À une enfant de 14 ans n'ayant pas encore fait sa première Communion, à une enfant qui, à 14 ans, n'allait pas encore au catéchisme. Un tel retard serait une mauvaise note dans votre paroisse pour une fillette et pour sa famille. Et, à Lourdes, Bernadette et sa famille étaient en effet « mal notées ».
Mal notées, car le père avait été en prison. Relâché rapidement. Mais il y avait été.
Mal notées, car les parents avaient fait de mauvaises affaires. Un moulin qu'il faut vendre. Puis un second échec. L'argent qui ne rentre plus. Le meunier devient tâcheron. Le tâcheron sans emploi devient chômeur. Avec ses quatre enfants, voici la famille Soubirous à la rue. Elle échoue dans ce cachot que vous visiterez, car il cria du matin au soir la pauvreté de Bernadette. La pauvreté, c'est-à-dire non seulement l'absence d'argent, mais I'absence de considération. Bernadette et sa famille sont mal notées à cause de leur logis, le dernier de Lourdes, de leurs échecs, et enfin on sait qu'ils sont si pauvres qu'ils vivent désormais de la revente des vieux os et du bois mort que Bernadette va ramasser partout. Elle est ainsi soutien de famille. Et voilà pourquoi sa famille la détourne du catéchisme : travail d'abord.
Après chacune des lumineuses Apparitions, Bernadette rentra dans la noire pièce du cachot où toute la famille était entassée. Dix-huit fois Notre-Dame apparut à la pauvre enfant qu'elle préféra à toutes les autres filles de Lourdes. Cent ans après, en 1958, cette flèche de lumière désigne implacablement la préférence de Notre-Dame : la pauvresse avec sa réputation de « pauvre fille ».
Voilà pourquoi, en l'honneur du Centenaire, nous avons fait cette folie de construire à Lourdes, sans magasin ni commerce, une Cité pour la foule de ceux qui s'apparentent à Bernadette par leur situation...
Venez voir.,.
Venez voir, je vous invite, parce que cette Cité a été construite d'une manière qui vous intéresse.
Au moyen âge, le seigneur donnait une forêt pour bâtir un monastère. C'est fini.
Au XIX° siècle, le puissant industriel donnait un paquet d'actions pour fonder un hôpital. C'est fini. Nous avons fait le contraire. Mille et mille pierres sont venues de partout.
Dès que ça s’est su, la source de secours a jailli. Un asile pour les pauvres à Lourdes ? Mais Bernadette I'avait souhaité (et en 1872 un essai avait été tenté). Sans gala ni kermesse, l'argent est venu pour la Cité de 1958.
Les 350.000 abonnés de ce journal[1] ont versé leur part. Et souvent parmi les 18 hectares de la Cité, on voit des familles, ce journal à la main, vérifier l'exactitude des descriptions et compter les constructions. Je m'en réjouis. Ils sont chez eux. Cette Cité, c'est eux qui l'ont construite. C'est leur affaire. C'est votre affaire.
À deux pas du Chemin de Croix, vous prenez une route neuve. Depuis la Grotte, la distance est plus courte que pour aller à la gare. Tout d'un coup, plus de magasins. La route monte un peu pour vous découvrir la chaîne enneigée des Pyrénées. Un quart d'heure de trajet depuis la Grotte. Et voici une terrasse de verdure. Silence et Paix. Dix-huit hectares de Silence ! et de Paix. Visitez la chapelle, les dortoirs, le réfectoire. Tout est gratuit pour ceux dont la paroisse a prouvé qu'ils étaient dans la même situation que Bernadette. 100 places. Cela vous paraît une folie. Cela existe. Est-ce que cela tiendra ? Venez, visitez, je vous invite.
Mgr Jean RODHAIN.
[1] Vous avez entre les mains un numéro spécial abrégé, «Messages», en réalité, paraît chaque mois sur 12 ou 16 pages, deux couleurs. Il vous renseigne sur les misères proches et lointaines. Il est l'organe officiel du Secours Catholique. Abonnement : 300 fr. par an. C.C.P. Paris 5620-U9 On s'abonne à Lourdes, à la permanence du Secours Catholique ou à la Cité-Secours.