L’autre chemin
Jean RODHAIN, « L'autre chemin, Messages du Secours Catholique, n° 77, avril 1958, p. 1.
L’autre chemin
Le Pasteur Oscar Cullmann, très apprécié dans les Universités de Paris et de Bâle, vient de faire, à Paris, une conférence qui mérite qu’on lui fasse largement écho.
A propos de la Semaine de l'Unité, il s'est félicité des travaux convergents des théologiens catholiques et protestants.
Mais, remarquant que ces cheminements théologiques étaient actuellement au point mort, il a proposé de revenir en commun à la tradition paulinienne, non pas seulement en continuant chacun les collectes traditionnelles pour les pauvres, mais en suggérant de transposer, dans notre temps, et parmi les chrétiens écartelés, la collecte de Jérusalem. Une fois par an, dans le cadre de leurs églises, les protestants collecteraient des fonds pour les pauvres du catholicisme et les catholiques pour les pauvres du protestantisme.
J'applaudis de tout mon cœur[1].
Certes, le Pasteur Cullmann reconnaît qu'il faudrait une longue mise au point et que ce projet n’est pas encore mûr. Il n’est peut-être pas réalisable immédiatement. Mais, comment ne pas y reconnaître non seulement une générosité profonde, mais aussi un autre chemin à parcourir ensemble vers le même Seigneur.
Qu'on ne vienne pas me dire qu'il s’agit là d'un témoignage de sensibilité, avec le risque de laisser se dévaluer la rigueur du dogme catholique.
Regardons en arrière : au moment on les chrétiens du monde entier donnent, depuis le Schisme d'Occident, depuis la Réforme, le spectacle navrant de leur désunion, rappelons-nous qu’au début de l'Église primitive, une autre fissure commençait à se dessiner sur l'édifice à peine établi.
Après quelques années de prédications saint Pierre et saint Paul étaient déjà séparés, non seulement par les différences de caractère, mais par des différences d'orientation. Les nouveaux convertis se réfèrent à Paul, les anciens se réclament de Pierre.
Imaginons un instant que cette fissure se soit maintenue : l'Église, dès son origine, était coupée en deux. Ce scandale aurait eu des conséquences incalculables.
Or que s'est-il passé ? Comment cette fissure a-t-elle été cimentée ? Par deux moyens.
D'abord, par le Concile de Jérusalem où le problème a été posé, la question a été débattue et la solution a été donnée. Par qui ? Par Pierre, le chef des apôtres et le premier Pape de l'Église romaine. Le compte rendu de ce premier Concile tient en un seul chapitre des Actes des Apôtres. Le chapitre XV. Tout y est réglé par message final de six versets. C'est l’exercice même du magistère de l'Église. Ensuite, je suis persuadé que l'édifice été aussi consolidé en même temps par la charité pratique d'un saint Paul. Lisez ses épîtres, toutes fulgurantes d'une théologie sans hésitation, sans concession. Elles sont entrecoupées de très nombreux versets relatifs à la collecte que lui, Paul, organise pour la communauté de Pierre. Depuis Corinthe, depuis Thessalonique, à chaque étape de ses voyages, de Grèce et d'Asie Mineure, saint Paul donne des directives sur la manière de collecter, sur l'acheminement des secours vers Jérusalem. Il exhorte tous les chrétiens qui lui sont fidèles, à donner pour cette Eglise de Jérusalem souffrant de la famine.
Loin de moi la pensée de voir, dans ces dons, un apaisement donné à Pierre et à ses fidèles. Loin de moi de supposer qu’une plaie humaine, ou qu’une fissure dans la Hiérarchie, ont été améliorées par des cadeaux petits ou grands.
Nous sommes sur un autre plan : c'est le Seigneur, Auteur et Maître de toutes grâces qui, voyant leur Charité, leur a donné son Unité. C'est le Seigneur aux chemins imprévisibles : alors qu’à deux pas de Sa crèche cinquante hôteliers de Bethléem ignorent l'événement mondial de leur propre village, Il se plait à convoquer les Mages lointains et à les guider sur une route inattendue par une étoile ignorée des experts et des théoriciens.
Comme dans la forêt vierge, deux voyageurs, perdus en de longs détours. changent brusquement leur méthode pour trouver un autre chemin. Comme dans la recherche d'un problème, le physicien ou le chimiste, sans faire un seul instant table rase des résultats acquis, cherchent un autre processus pour trouver la solution, ainsi dans l'Évangile, nous voyons parfois le Seigneur diriger hors des chemins battus les équipes cherchant à aimer leur prochain.
Saint Luc, en son chapitre V, nous décrit l'assistance compacte des Pharisiens et des Docteurs de la Loi, arrivant de tous les bourgs : de Judée, de Galilée, de Jérusalem, pour entendre l'enseignement du Seigneur. Cette assistance était compacte et, tellement compacte, qu'elle rendait le Christ inaccessible, car elle obstruait et les portes et les fenêtres de la maison. Alors, voici des gens qui montent sur la terrasse, qui démolissent le toit et qui, par cet autre chemin inattendu, descendent leur paralytique au milieu de l'assistance, au pied même de Notre Seigneur Jésus.
Nous savons bien que ce paralytique fut guéri et aussi que ses péchés furent pardonnés, mais nous remarquons aussi que l'évangéliste donnant le motif de ce miracle, ne nous dit pas : « Voyant sa foi, Jésus leur dit », mais : « Voyant LEUR FOI ».
Ce qui a motivé ce miracle, ce n'est pas la demande du paralytique, c est le spectacle donné par la Foi de son entourage, poussant ces braves gens jusqu’à chercher, pour leur malade, un chemin nouveau. Voyant «leur» Foi.
Bien sûr, si les efforts charitables des uns et des autres réussissent, d'ici quelques années, à faire avancer, ne serait-ce que d'un seul pas, le problème de l'unité des chrétiens, il est bien entendu que ce résultat n’aura pas été gagné à coups de chiffres ou en raison du tonnage collecté. Il n'y a aucune commune mesure entre ce que l'humain peut offrir et ce que le Seigneur peut donner. Nous attendrons le résultat, non pas d'un total accumulé par les uns et les autres, mais uniquement, de la surabondance des grâces du Seigneur.
Nous sommes tous des fils prodigues. Dans nos chemins de retour vers l'Unité, nous savons bien que ce qui comptera, ce ne seront pas les miettes que nous apporterons, mais uniquement l'infinie charité du Seigneur, ayant finalement pitié de ses fils désunis qui auront essayé de s'aimer d'abord en frères.
Mgr Jean RODHAIN.
[1] TELEGRAMME A PROFESSEUR OSCAR CULLMANN - PARIS 8-3-58. REGRETTE EMPECHEMENT ASSISTER VOTRE CONFERENCE STOP MAIS J'APPLAUDIS AU PRINCIPE REHABILITATION NOTION CHARITE PAR RETOUR METHODES PAULINIENNES STOP PREPARATION FUTUR DIACONAT POUR AN DEUX MILLE SERA INAPPRECIABLE EN VUE CONVERGENCE VERS VERITABLE REGROUPEMENT UN SEUL TROUPEAU UN SEUL PASTEUR STOP SINCERES FELICITATIONS. JEAN RODHAIN.