En suivant le guide
Jean RODHAIN, « En suivant le guide », Messages du Secours Catholique, n° 90 bis, août 1959, p. 2.
En suivant le guide
Suivez-moi, je suis le guide affecté à votre groupe. Ce domaine de 18 hectares, verdoyante terrasse surplombant Lourdes, nous allons ensemble le visiter en quatre enjambées.
Nous sommes ici dans le cloître central. Comme à Assise, cette longue galerie encadre la cour d'accueil pour abriter le pèlerin de la pluie, du vent ou du soleil. Ici, le bureau où sont vérifiés les dossiers, car la Cité n'accepte que les groupes ou les isolés présentés par la paroisse : sur place, on connaît exactement les détresses cachées qui ne peuvent payer l'hôtel. Ici ils seront traités fraternellement, mais en la réalisant ponctuellement on ne prononcera pas le mot « gratuité ».
Voici le réfectoire : charpente sans piliers, une seule envolée de poutrage, 700 places. Et au lieu d’être reléguée dans un sous-sol enfumé, la cuisine a les mêmes dimensions, et le cuisinier est à l'honneur avec ses fourneaux au milieu des convives. Self-service, évidemment.
Cette vieille ferme a été conservée. Voyez ces murs solides. Une baie percée dans la grange, une autre dans le grenier à foin, et voici des dortoirs spacieux. Tout le corps de bâtiment a le chauffage central, car il sert en hiver pour retraites et récollections.
La dame renseignée : « Mais je croyais que Lourdes était fermée en hiver ? »
Le guide : « Que Deauville ou Vichy aient leur saison, je l'admets, mais pourquoi mettre Notre-Dame en chômage ? Ses premières Apparitions eurent lieu en plein hiver. Les Américains, pour qui les saisons n'existent pas viendront de plus en plus à Lourdes en hiver. En tout cas, ici, c'est ouvert.
« Regardez cette vaste étable. Les jougs et les mangeoires sont encore aux murs. Mais sur le sol un tapis silencieux : c'est la salle de lecture. »
Le monsieur grincheux : « Tous ces gens qui frottent et astiquent, c'est un personnel considérable, vous devez vous ruiner en salaires. »
Le guide : « La femme qui balaie est une dirigeante nationale d'une Caritas étrangère. Elle consacre son premier mois de vacances à suivre des cours en Sorbonne, et le second à servir bénévolement les pauvres ici. Les silhouettes bleues que vous rencontrez sont les Dames de Charité de Paris. Elles viennent à leurs frais, par équipes, chaque semaine, pour vingt travaux humbles et discrets. La vaisselle est faite par des Grands Séminaristes, Nous avons eu 800 candidats cette année. Nous en avons admis la moitié... »
La dame : « Somme toute, la main-d'œuvre économique... »
Le guide : « Au lieu de main-d'œuvre, si nous disions Oeuvres : toutes les œuvres de Charité -comme à la Cité parisienne de la Comète – œuvrent ensemble ici. Dans cette architecture, c'est la plus belle des harmonies.
Maintenant, engageons-nous, mesdames, messieurs, dans ce sentier grimpant vers la forêt : voici l'Oratoire St-Jean-Baptiste contigu à la Communauté des Petites Sœurs du Père de Foucauld : elles ont la charge des pèlerines.
A votre gauche, s'étendant jusqu'au petit col boisé à l'Ouest, voici les prairies et les bosquets où nous ne construirons rien : zone de la méditation et du silence.
Et maintenant, notre sentier nous fait découvrir à droite, à l'horizon : Bartrès. Dans ce bouquet d'arbres, on devine la Bergerie où quinze jours avant les Apparitions, en janvier 1858, Bernadette gardait encore ses moutons. Ici, comme chapelle, construite sans architecte, nous avons, au centimètre près, recopié pierre par pierre cette Bergerie : la voici. »
La dame agitée : « mais pourquoi appelez-vous aussi Bergerie vos pavillons ? »
Le guide : « Parce que nous les avons construits très simplement aussi. Et parce qu'ils abritent ceux qui s'apparentent à Bernadette par la pauvreté. Chaque pavillon comporte, au centre, le logis du gardien (ou de la gardienne) avec autour six Bergeries de douze lits chacune. Façade en bois colonial orientée vers le soleil. Galerie en plein air reliant les Bergeries. Eau. Douche. Clarté. Et quelques carreaux de céramique rappelant la vie de saint Pierre. »
L’ingénieur : « Mais vous aurez terminé combien de pavillons en 1959 ? »
Le guide : « Cela dépend des souscriptions. Actuellement nous avons 700 lits en service.
Mais à côté des pavillons déjà construits, suivez du regard ce sentier : il court vers Ie Chemin de Croix que vous reconnaissez tout contre la limite de la Cité. Puis ce sentier passe le petit col des Espéluges : la Grotte est là, à deux pas. C'est le signe qui marque ce domaine : à deux pas de la Grotte, sans un magasin, sans un hôtel. La prairie, le silence, la paix...
Et surtout, mesdames, messieurs, il faudrait n'y point passer vingt minutes. Il faut y vivre avec les pauvres. Deviner leur misère. Ecouter leurs confidences. Mesurer leur simplicité.
La véritable Cité-Secours n'est pas seulement un paysage et une architecture. C'est le pauvre qui se sent chez lui. »
Le GUIDE : J. R.