Le professeur du Pape
Jean RODHAIN, « Le professeur du Pape », Brochure de la Journée Nationale 1959, p. 14.
Le professeur du Pape
Un Pape que je ne nommerai point, par discrétion, devait un jour recevoir en audience un souverain du Proche-Orient qu'il avait autrefois bien connu au cours de missions diplomatiques.
Dix jours avant l'audience, le Supérieur du séminaire grec de Rome est convoqué au Vatican. II a la surprise d'entendre le Pape lui demander un service : « je sais le grec, bien sûr, mais je n'ai plus parlé le grec moderne depuis longtemps. J'ai besoin de m'y exercer avant cette audience. Prenez le meilleur de vos séminaristes et envoyez-le moi dès ce soir. II sera mon professeur pendant huit jours. »
Après la surprise du Supérieur, la stupeur du séminariste désigné…
Comment se passèrent ces « classes » et comment se comportèrent l'élève et le professeur, on n'en a rien su, et le séminariste-professeur a gardé rigoureusement le secret professionnel sur ces leçons vaticanes...
Mais le séminariste, pressé de questions par ses supérieurs et ses condisciples, montra un papier étonnant, et finalement il osa tout de même révéler ce qui arriva après la dernière leçon : travail terminé, plus de secret désormais.
Après le dernier exercice pratique de prononciation du grec moderne, le Pape conduisit son professeur dans ses appartements, d'abord dans la cuisine pour un goûter réconfortant, et puis dans sa chambre.
Et là le séminariste, plus abasourdi encore que devant une version d'Homère, vit le Pontife Suprême ouvrir ses armoires, chercher fébrilement quelque chose, ne pas le trouver, bousculer un tiroir, déranger une pile de mouchoirs, et enfin dénicher un rectangle de carton jauni. Le Pape regagna son bureau, regarda bien le papier, s'appliqua à écrire au verso une dédicace, et remit le tout à son tremblant professeur.
Celui-ci n'osa pas regarder, s'agenouilla, fut béni, encouragé et s'enfuit.
Une fois dans les escaliers, il regarda le rectangle un peu fripé. Au recto, il y avait la photographie - bien jaunie, il faut l'avouer - d'un séminariste avec un costume peu moderne.
Au verso, il y avait cette dédicace sans signature : Le vieux séminariste Angelo Roncalli à son jeune professeur de grec »
Ce jeune professeur de grec s'appelle Jean Foscolos : il reste pour sa vie entière marqué par un tel « trait » de charité paternelle.
Quant au Pape en question, vous me permettrez, n'est-ce pas - par discrétion - de taire son nom.
LE JARDINIER DE LA CITE.