Pour mieux connaitre Jean Rodhain
Exposé de Jeanne Mihura, cancérologue, membre de la chaire Rodhain de Toulouse, le 19 mars 2019 devant les lauréats du prix de la chaire jean Rodhain.
Ses interlocuteurs le décrivaient ainsi : « Haute taille, le cheveu dru, un visage impassible mais où brille un regard perçant derrière les lunettes… On admire son extraordinaire don pour l’organisation. Mais il est surtout préoccupé de promouvoir une authentique charité. On respecte en lui le conseiller du Pape … mais ses proches savent bien que son sens de l’humour sait aller jusqu’à la forme la plus rare de cette rare qualité : une authentique modestie. »1
Il est Lorrain, né à Remiremont le 29 janvier 1900, ordonné prêtre le 12 juillet 1924.
C’est pour s’occuper de la J.O.C. qu’il est d’abord venu à Paris. Fait prisonnier en 1940, il s’évade, puis devient aumônier général des prisonniers de guerre. C’est à Lourdes, à l’issue du pèlerinage du retour auquel assistent 80 000 déportés, qu’il annonce la création du Secours Catholique. On est en septembre 1946.
Après la guerre, tout est à reconstruire en France. Il lance des campagnes d’alerte : 1947 : campagne pour les malades, 48 : campagne des berceaux, 49 : campagne des vieillards et des détresses cachées, 53 : campagne des logis et des sans-abris. Il crée les Cités du Secours Catholique, lieux d’accueil, de vie et d’insertion de personnes en très grande difficulté puis en 1956 la Cité Saint Pierre à Lourdes pour accueillir les pèlerins pauvres.
A partir de 1956, il agit sur tous les fronts des urgences du monde : guerre du Biafra, Bengladesh, guerre du Vietnam…
« Aujourd’hui, tout est international, la misère aussi ». Jean Rodhain
Il sera président de Caritas Internationalis de 1965 à 1972. Il participe activement au Concile Vatican 2, en particulier à la restauration du ministère des diacres permanents.
Il puise sa force dans la prière, tout spécialement à Marie. « Je ne fais rien ; Dieu me pousse et je marche. C’est la Providence qui m’a amené où je suis ».
Mais les actions ne suffisent pas, pour que la Charité soit « intelligente », il faut éveiller les cœurs « Le but final du Secours Catholique, c’est une pédagogie de la Charité. Il ne s’agit pas de trouver 100 000 francs, mais surtout d’éveiller 100 000 cœurs ».
Les microréalisations en sont un exemple (c’est un travail en commun mené par les paysans d’un village du tiers-monde à partir de leurs besoins et de leurs projets et par une communauté française). « C’est petit, c’est microscopique, mais …ça fermente, ça se développe, c’est contagieux »…
A partir de 1966 l’action du Secours Catholique passe de la distribution à l’accueil, de l’aide à la rencontre « Aider, c’est d’abord aimer ; rencontrer, faire exister l’autre par la relation. »
A partir des années 1970, il va inciter le Secours catholique à développer l’action institutionnelle, le plaidoyer : « il ne suffit pas de remédier aux effets, il faut aller aux causes2 « …
Il décède le 1° février 1977 à la Cité Saint Pierre à Lourdes, où se trouve sa tombe.
Le père Dubrulle dit de lui qu’il était un as de la pédagogie et de la communication et qu’il avait toujours une longueur d’avance. Il avait le sens de la formule, il a beaucoup écrit, des textes courts et incisifs (en particulier dans les messages du Secours Catholique).
Lors de la messe pour le centenaire de sa naissance, en 2000, Monseigneur Lustiger disait : « reprenez les citations de Mgr Rodhain dans les recueils de ses textes. Revenez-y… J’en suis sûr : parmi les paroles qu’il a laissées, beaucoup vous rendront le courage le jour où vous serez découragés, l’enthousiasme le jour où vous serez lassés. Elles mettront de nouveau dans votre cœur la charité, pleine et totale, pour être, à la suite du Christ, témoin de l’amour dont Dieu nous aime et dont Dieu veut que nous aimions nos frères ».
Voici donc quelques citations de plus, pour terminer :
Tout ce qu’on peut faire, c’est faire de son mieux, à l’endroit où on est.
Bâtir une société de frères ne saurait rester à l’état de programme. Chacun, là où il est, y a sa part de responsabilité. Chacun y a sa place.
Ayons de grands desseins mais commençons par d’humbles gestes.
Les naïfs s’imaginent que « l’à peu près » est admissible dès qu’il s’agit de Charité alors que, de tous les travaux, c’est la Charité qui appelle le plus de rigueur. « Chaque objet et chaque geste ont un sens dans le domaine de la grâce ».
La vraie Charité est toujours en avant. La Charité d’aujourd’hui prépare la justice sociale de demain. La Charité de demain suscite le développement adapté à la mesure de l’homme. Tout se tient 3».
Le temps passé à rencontrer l’autre est plus important que le colis distribué.
« Je veux dire que les repus que nous sommes ne peuvent plus se contenter de donner une part de leur surplus. On aurait là cette aumône qui humilie à la fois celui qui a l’air de se pencher et celui qui a l’air de tendre la main. Je n’ai pas la propriété exclusive de mon pain. Je l’ai gagné, certes, à la sueur de mon front. Mais le laboureur, le moissonneur, le meunier et le boulanger ont des droits sur ce grain et sur cette farine. Et le soleil du Créateur me rappelle qu’il a fait germer et mûrir ce grain pour la faim de tous les hommes.
Partager, c’est restituer la part qui est due à chacun…1 »
1 « Qui êtes-vous Mgr Rodhain ? Interview de Michel Leclercq », Ecclesia-Magazine, n° 281, septembre 1972, pp. 2¬4.
2. Charité à géométrie variable
3. ″Charité ou développement ? Il n’est pas interdit à la charité d’être intelligente », MSC, n°183, mars 1968, p.3.