Façonner l'avenir du travail
FAÇONNER L’AVENIR DU TRAVAIL - Une réflexion de la Commission Affaires sociales de la COMECE -
SYNTHESE
(Vous pouvez trouver la totalité de la contribution en pdf au-bas de cet article)
Façonner la transformation numérique et écologique de notre économie sera un défi commun pour la politique européenne. Ces deux tendances vont transformer le monde du travail, changer notre compréhension ainsi que les conditions de travail en Europe, et nécessiteront donc une volonté et une vision politique pour construire le nouveau monde du travail.
Alors que ces changements métamorphosent profondément nos sociétés, la réflexion de la Commission des Épiscopats de l'Union européenne (COMECE) encourage les institutions de l'UE à travailler sur une vision européenne commune afin de garantir que ces changements soient profitables à tous et à la société dans son ensemble. Le document élaboré par la Commission Affaires sociales de la COMECE, en étroite consultation avec des organisations d'inspiration catholique en Europe, vise à contribuer à la fois au débat sur le prochain mandat de l'UE et à l'initiative du centenaire de l'Organisation internationale du Travail (OIT).
La contribution est divisée en quatre sections: La première est une réflexion sur le travail en le définissant non seulement comme source de revenus mais aussi comme partie intégrante de l’identité humaine. Le travail peut aider les personnes à trouver leur place dans la société, à favoriser leur développement personnel et à prendre soin de la création en rendant la maison commune plus prospère pour les générations futures.
Au-delà de son aspect financier, le travail a donc un rôle important à jouer dans la vie des personnes. Cependant, bien que le futur monde du travail soit susceptible de créer davantage de travail décent et offre déjà de nombreuses opportunités, l'analyse du deuxième chapitre met aussi en évidence les risques qui compromettent le potentiel du travail en tant que contributeur au bien commun:
- La polarisation des emplois augmente dans de nombreux États membres de l'UE, la numérisation et l'automatisation ayant créé de nombreuses opportunités de travail pour les personnes hautement qualifiées, tout en mettant en danger les emplois de routine de la classe moyenne.
- Des nouvelles formes d’emploi plus flexibles portent atteinte au droit du travail européen ainsi qu’à la sécurité de l’emploi des jeunes, qui se retrouvent seuls pour gérer leur protection sociale, leur santé et leur sécurité au travail.
- La frontière entre vie professionnelle et vie privée s'est progressivement estompée : la popularisation et l'utilisation des nouvelles technologies ont accru l'autonomie, mais pour beaucoup, elles ont également entraîné une intensification du travail, réduisant l’espace de la vie familiale et sociale.
Sur la base de cette analyse, la réflexion de la COMECE propose de façonner les tendances actuelles pour un monde du travail décent, durable et participatif pour tous. Cette vision devrait s'appuyer sur une économie au service du développement humain intégral :
- Le monde du travail sera décent s'il promeut des conditions de travail justes, y compris des revenus décents axés sur la famille et un espace suffisant pour la vie en famille et dans la société
- Le monde du travail sera durable s’il fournit les conditions d'une vie stable et féconde pour les générations présentes mais aussi futures et prend donc en compte la dimension écologique du travail
- Le monde du travail sera participatif si employés et employeurs parviennent à façonner ensemble, à tous les niveaux, les conditions de travail par le biais du dialogue social et s’ils coopèrent avec l’État dans le cadre d’un partenariat tripartite pour l’élaboration des politiques relatives à leur travail
- Le monde du travail sera inclusif si son objectif premier est le plein emploi et qu’il permet à tous les citoyens de participer à la société et de devenir un acteur libre pour le développement authentique de cette société.
RECOMMANDATIONS
Pour une vision d'un monde du travail décent, durable et participatif pour tous, la contribution propose aux institutions de l'UE les 17 recommandations suivantes :
Prérequis : Une économie au service du développement humain intégral
1 Promouvoir le développement humain intégral : nous encourageons l'UE et ses États membres à orienter leurs politiques vers l'objectif du Traité de l'UE pour une économie sociale de marché. À cette fin, l'UE devrait respecter de manière stricte les objectifs en matière de climat, d'emploi et de pauvreté de la stratégie Europe 2020 et placer les objectifs de développement durable au centre d'une nouvelle stratégie pour 2030.
2 Rééquilibrer liberté économique et droits sociaux : l'UE devrait rapidement traduire le socle européen des droits sociaux en actions politiques concrètes en utilisant tous les instruments politiques, y compris les législations, le semestre européen, les fonds européens et le dialogue social européen. Nous espérons qu’un engagement de haut niveau façonne les politiques de l'UE au-delà des élections européennes.
Un monde du travail décent …
3 Garantir des conditions de travail décentes dans tout type d'emploi : les législations européennes devraient garantir que toute personne travaillant sous le contrôle de quelqu'un bénéficie d’un ensemble de droits exécutoires, y compris la protection médicale et sécuritaire, l’accès aux formations et aux informations obligatoires. En outre, l'UE et ses États membres devraient veiller à ce que tous les citoyens de l'UE, indépendamment de leur relation de travail, aient accès à une protection sociale adéquate.
4 Respecter les normes internationales du travail : avec ses États membres, l'UE devrait devenir un chef de file mondial dans la défense, la promotion et la mise en œuvre des normes internationales en termes de droit du travail, notamment la Déclaration de principes tripartite l'OIT sur les entreprises multinationales et la politique sociale de l’OIT ainsi que les négociations en cours sur un Traité contraignant des Nations Unies sur les multinationales et les droits humains. La Commission européenne devrait également intégrer systématiquement ces normes du travail comme condition préalable dans ses accords de libre-échange.
5 Promouvoir la reconnaissance du travail familial et du bénévolat : en élevant leurs enfants et en s'occupant des personnes âgées, les membres d’une famille assurent un service vital pour le bien commun. Par conséquent, ils devraient avoir accès à une assurance maladie et avoir droit à une pension adéquate. En outre, l'UE devrait mieux valoriser la contribution du bénévolat et du volontariat en tant qu'expression active de la citoyenneté et promouvoir la reconnaissance et la validation des qualifications non- formelles et informelles acquises grâce au bénévolat et au volontariat.
6 Faciliter les échanges de bonnes pratiques concernant les horaires de travail décents : la popularisation des outils de travail mobiles a facilité la tendance vers une culture de la disponibilité permanente. Nous appelons donc l’Union européenne à garantir des horaires de travail respectant la santé, la sécurité et la dignité humaine des travailleurs par le biais d’une révision de la directive sur le temps de travail et d’autres législations pertinentes, notamment le droit à la déconnexion récemment adopté par la France.
7 Réintégrer la protection du dimanche dans le droit de l'UE : alors que de plus en plus de citoyens de l'UE travaillent les jours fériés et le dimanche, nous recommandons que l'UE protège le dimanche, en tant que jour de repos collectif, en révisant l’actuelle directive sur le temps de travail.
… durable …
8 Promouvoir un emploi stable et plus sûr : l'UE devrait décourager l'utilisation de contrats à court terme ou d'autres formes de travail atypiques, en particulier les contrats à zéro heure, comme mesures de réduction des coûts, et contribuer à convertir le travail temporaire en emploi permanent. La Commission européenne devrait également explorer la nécessité d'une directive de l'UE sur le travail dans l’économie des plateformes et examiner dans quelle mesure la législation européenne actuelle, notamment la directive de l'UE relative au travail intérimaire, est applicable aux spécificités des plateformes en ligne.
9 Repenser la notion d’éducation : dans l’enfance et la jeunesse, l’éducation jette les bases d’une vie autonome et indépendante, mais dans un monde du travail évoluant rapidement, elle devrait devenir l’élément constant de la vie professionnelle. La Commission européenne devrait donc faciliter l'échange des meilleures pratiques en matière de promotion des systèmes d'apprentissage tout au long de la vie. La Commission européenne devrait, en particulier, évaluer avec les États membres la possibilité d'introduire un compte personnel d'activité que chaque travailleur pourrait utiliser pour payer ses études et se recycler.
10 Promouvoir l'emploi et l'entreprenariat respectueux de la création : l'UE devrait devenir un chef de file dans la promotion des professions et des entreprises respectueuses de l'environnement. À cette fin, la COMECE recommande à l’UE de stimuler le développement des entreprises sociales. Conformément au rapport du Parlement européen relatif à un statut pour les entreprises de l’économie sociale et solidaire, l'UE devrait envisager de créer un label européen de l'économie sociale et promouvoir ces modèles d'entreprise dans les marchés publics.
11 Faire de la durabilité un principe directeur de l’investissement privé : l’un des prérequis à la création de main-d'œuvre durable est que les conditions d'investissement soient orientées vers le bien commun. Alors que la COMECE se félicite du fait que l’infrastructure durable soit l’un des quatre domaines d’action du projet de Fonds InvestEU, elle encourage l’UE à mettre pleinement en œuvre son plan d’action sur la finance durable en vue de libérer les investissements potentiels pour la création d’emplois durables à la fois pour la personne humaine et l'environnement.
… participatif …
12 Renforcer la participation des partenaires sociaux, de la société civile et des Églises au semestre européen : l'UE devrait encourager le dialogue avec ces acteurs et les impliquer dans la conception et la mise en œuvre des politiques européennes sociales et sur le travail, notamment par le biais du semestre européen. Cela renforcera l'adhésion et favorisera une mise en œuvre sans heurts des mesures politiques.
13 Redynamiser le dialogue social à tous les niveaux : l'UE et les États membres devraient promouvoir le dialogue social en vue du bien commun à tous les niveaux. Ce dialogue devrait permettre aux employés et aux employeurs de façonner ensemble leurs conditions de travail et de contribuer dans un partenariat tripartite avec l'État à la formulation de politiques relatives au travail. L’UE devrait particulièrement encourager la négociation d’accords-cadres autonomes à l’échelle de l’UE.
14 Adapter le dialogue social à un environnement post-industriel : les nouvelles formes d'emploi et le monde du travail plus ségrégatif remettent en cause les modèles traditionnels de négociation collective et de dialogue sociale. Dans ce contexte, les syndicats devraient être aidés à adapter leurs modèles de campagne et de plaidoyer afin de représenter plus efficacement les intérêts et les droits de tous les travailleurs de l'UE.
… pour tous.
15 Aider les travailleurs dans la transition vers le nouveau monde du travail : nous recommandons de renforcer le soutien aux travailleurs touchés par cette transition et suggérons de transformer le Fonds d'ajustement à la Mondialisation (FEM) en un fonds européen de la transition, doté de plus de ressources et destiné à aider les travailleurs à s’adapter au nouveau monde du travail.
16 Développer des programmes sur mesure pour lutter contre le chômage de longue durée : l'UE et ses États membres devraient explorer la possibilité de mieux réintégrer les chômeurs de longue durée en leur offrant une aide sur mesure à la recherche d'emploi, des formations, une aide socio-éducative et - le cas échéant - des emplois financés par des fonds publics afin de faciliter leur futur accès au marché du travail régulier.
17 Promouvoir la justice fiscale entre le travail et le capital : une fiscalité plus équitable peut aider à mobiliser des ressources pour financer une transition juste dans le monde du travail. Nous encourageons donc le Conseil de l'UE à améliorer la taxation de l'économie numérique et à convenir d'une directive globale sur l'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS), capable d'éliminer les déséquilibres et les régimes préférentiels permettant l'évasion fiscale. De plus, nous rappelons la proposition des évêques de la COMECE de créer une taxe sur les transactions financières à l'échelle de l'UE qui contribuera à réduire la volatilité des marchés, à freiner la spéculation excessive et enfin à rétablir la justice fiscale.
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