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Sur des chemins de fraternité : petite randonnée biblique

04 février 2019
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Sur des chemins de fraternité : petite randonnée biblique

Par Dominique CHARLES o.p., Bibliste. Grand séminaire régional de Lorraine ; Service de la formation du diocèse de Metz ; Théologien accompagnateur du Conseil national

 

 

Introduction

La fraternité est un thème transversal de toute la Bible. Peut-être pouvons-nous emprunter des chemins bibliques pour parler de la fraternité, des chemins de traverse susceptibles de nous aider à mieux comprendre notre propre humanité et d’éclairer notre mission. Tentons cette randonnée biblique !

  1. Des constats

1er constat

Concernant la fraternité, le corpus biblique s’ouvre par le fratricide de Caïn dans la Genèse (Gn 4), qui résulte de l’entrée en scène du serpent et donc nous dirons du mal ; il se termine dans l’Apocalypse avec l’annonce que « l’accusateur de nos frères » sera vaincu (Ap 12,10)[1] ! J’y vois un réel chemin entre l’échec dramatique d’une fraternité originelle voulue par le Créateur et la réussite d’une fraternité victorieuse sur les puissances du mal promise au terme de l’histoire.

Le corpus biblique se déploie ainsi entre l’entrée en scène du Tentateur, sous la forme du serpent, qui amène au conflit entre les frères et au crime fratricide d’une part, et la défaite de l’Accusateur des frères qui est annoncée dans l’Apocalypse, d’autre part. Entre les deux il y a le pivot de la croix du Christ, où la violence fratricide de l’homme se mue en salut apporté par le Frère de tous, qui accepte d’être mis à mort pour tous, et qui seul peut prononcer les mots implorant le pardon divin pour tous les meurtres de ses frères : « Père, pardonne-leur ; ils ne savent pas ce qu’ils font ! »

2e constat

La Loi, donnée par Dieu lui-même à Moïse sur la Montagne du Sinaï, demande d’aimer son prochain : « Tu ne te vengeras point, et tu ne garderas point de rancune contre les enfants de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis le Seigneur » (Lv 19,18). Le prochain visé ici est l’Israélite, membre du peuple de Dieu.

L’amour du prochain, disons du frère de sa religion, qui est la règle de vie du peuple de Dieu, deviendra avec Jésus une règle universelle : il ne s’agit pas seulement d’aimer le frère dans le peuple de Dieu (ou même dans l’Église), il s’agit d’aimer tout homme, de considérer tout homme comme un frère. Jésus n’est pas venu en effet sauver quelques privilégiés et il n’est pas le sauveur des seuls croyants : il est venu sauver l’humanité entière. Si nous n’en n’étions pas convaincus, souvenons-nous de ces quelques versets du Nouveau Testament : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle. Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui » (Jn 3,16-17) ; « nous savons que c’est vraiment lui le sauveur du monde » (Jn 4,42) ; « une fois élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi » (Jn 12,32) ; « Dieu a enfermé tous les hommes dans la désobéissance pour faire à tous miséricorde » (Rm 11,32) ; Dieu « veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1 Tm 2,4) ; « Nous avons mis notre espérance dans le Dieu vivant, le Sauveur de tous les hommes, des croyants surtout » (1 Tm 4,10) ; Dans le Christ, « la grâce de Dieu, source de salut pour tous les hommes, s’est manifestée » (Tt 2,11).

Je vois là encore un chemin de la fraternité qui invite à considérer tout homme comme un prochain, comme un frère, et pas seulement celui de la même religion que soi. Jésus invite à avancer vers le frère différent, pas seulement vers le même que soi. Le chemin de la fraternité dans lequel Jésus nous introduit implique une grande ouverture de cœur et d’esprit, pour considérer l’étranger, et même l’ennemi, comme un frère à accueillir et à aimer. Il nous invite à devenir « hospitalier » (nous sommes à Lourdes !), à pratiquer une hospitalité du cœur sans frontière, sans faire de distinction entre les hommes.

Je crois qu’il y a là un grand enjeu pour tout disciple de Jésus, et pour tout aumônier en détention ; c’est difficile d’être hospitalier à tous, c’est je crois l’essentiel de la mission d’un aumônier. Je l’ai répété souvent, l’aumônier catholique n’est pas aumônier seulement des catholiques, il est l’aumônier catholique de tous ceux qui sont en détention : les détenus d’abord, le personnel de détention aussi, sont ses « prochains » qui doivent pour lui devenir des « frères ».

  1. Le choral d’ouverture de la cantate BWV 61

Le magnifique choral d’ouverture de la cantate BWV 61 de Bach (Nun komm, der Heiden Heiland) « Viens maintenant, Sauveur des païens », écrite pour le Premier dimanche de l’Avent 1714, fait méditer le mystère de l’Incarnation comme celui de la venue du Sauveur de l’humanité entière ! « Viens maintenant, Sauveur des païens, enfant de la Vierge reconnu, tel que le monde entier s’émerveille que Dieu lui envoie une telle naissance[2]. » Dans le choral d’ouverture, les diverses voix du chœur reprennent de nombreuses fois le premier et le troisième vers de cette strophe : « Viens maintenant, Sauveur des païens » et « le monde entier s’émerveille ». L’insistance porte donc sur l’universalité du salut apporté par la naissance du Christ. Bach – qui, en bon luthérien, devait être attaché au salut par la foi seule – a ouvert sa cantate par « Viens maintenant, Sauveur des païens ! » et non par « Viens maintenant, Sauveur des croyants ! » (Sauveur de ceux qui ont foi en toi).

  1. Paul et la dimension universelle du salut

Faisons un détour par saint Paul qui tente de faire comprendre cette dimension universelle du salut. Dans l’Épître aux Romains, il remonte aux origines de l’humanité, au projet de création tel qu’il est relaté dans les premiers chapitres de la Genèse. Il me semble qu’il nous entraine ici sur des chemins de fraternité intéressants.

Dans le livre de la Genèse, il nous est dit que Dieu créa l’homme et la femme à son image, et que « Dieu vit que cela était bon ! », et même « que tout ce qu’il avait fait était très bon » (Gn 1,31). Pourtant, malgré l’affirmation tant de fois répétée de la bonté de l’œuvre de Dieu, il y eut « la chute ». En croquant dans le fruit défendu, nos premiers ancêtres ont appris que le mal existait : ils se sont cachés quand Dieu se mit à leur recherche. Avec la désobéissance d’Ève et d’Adam, le serpent a « grippé » le projet divin de création. Dans ce qui était très bon, le mal a pu s’infiltrer. Difficile de savoir comment et pourquoi ! Ce n’est pas l’objet de ces chapitres qui veulent faire comprendre que le mal (auquel nous sommes confrontés, dans notre vie personnelle, sociale et, bien sûr, comme aumôniers en détention), qui a tant de visages et de formes, touche toute l’humanité.

« Par un seul homme, écrit Paul, le péché est entré dans le monde et par le péché la mort, et ainsi la mort a atteint tous les hommes, parce que tous ont péché » (Rm 5,12). Pour saint Paul, non seulement la mort a atteint Adam parce qu’il a péché, mais elle atteint tous les hommes parce qu’ils pèchent tous comme Adam. Paul fait ainsi comprendre que si par un seul le mal est entré un jour dans le monde et a touché toute l’humanité, alors il fallait que ce soit par la justice d’un seul que la totalité de l’humanité soit sauvée. Qu’importe l’image, il s’agit bien du mystère du plan de salut divin qui touche la totalité de l’humanité touchée par le péché et la mort !

Ainsi, nous sommes « frères » à plusieurs titres : d’abord parce que nous appartenons à la même humanité, descendants du même Adam, tous créés par le même Dieu ; nous sommes tous frères aussi parce que nous sommes tous pécheurs et que nous contribuons tous au mal, qui est entré dans la création par effraction ; enfin, nous sommes tous frères parce que nous sommes tous sauvés par le seul « Sauveur du monde ».

  1. De la fraternité détruite à la fraternité nouvelle

La Bible permet d’entrevoir que le drame de l’humanité est celui d’un projet divin de fraternité entre les hommes qui n’a pas pu se réaliser par suite du mal qui s’y est infiltré grâce à la complicité de l’homme. Il y a beaucoup d’histoires de frères dans la Genèse et dans la suite de la Bible qui montrent que la fraternité n’est pas évidente, même si elle est située au cœur du projet divin de création.

Les hommes, étant tous de la même origine, devraient se considérer comme des frères, se respecter et vivre en bonne entente. Or les rivalités et la violence surgissent entre frères dès les premières pages de la Genèse ; la fraternité serait-elle impossible ? Il suffit d’évoquer quelques récits bien connus : Caïn et Abel (Gn 4)[3] ; les rivalités entre Jacob et Esaü[4] ; les rivalités entre Joseph et ses frères qui le vendent (Gn 37) pour se débarrasser, par jalousie, parce qu’il était le préféré de leur père Jacob ; l’histoire d’Absalom, Amnon et Tamar et le meurtre d’Amnon sur ordre de son frère Absalom (2 S 13,28-29)…

La Bible nous apprend que, malgré tout cela, Dieu n’a pas abandonné son projet. Il a voulu sauver cette humanité perdue en multipliant les alliances et en faisant naître son propre Fils dont la mission a été de sauver la multitude de l’humanité, en restaurant entre les hommes des liens de fraternité véritable. Deux versets de l’épître aux Romains me semblent fondamentaux et éclairants : « Si, par la faute d’un seul, la multitude est morte, combien plus la grâce de Dieu et le don conféré par la grâce d’un seul homme, Jésus Christ, se sont-ils répandus à profusion sur la multitude » (Rm 5,15) ; « Comme la faute d’un seul a entraîné sur tous les hommes une condamnation, de même l’œuvre de justice d’un seul procure à tous une justification qui donne la vie. »

C’est « pour la multitude » que Jésus a versé son sang (cf. Mc 10,45 et 14,24), ce que nous reprenons dans les paroles de la consécration de chaque eucharistie. C’est dans ce sang de Jésus qu’est scellée notre fraternité définitive et véritable. Il est « l’aîné d’une multitude de frères » (Rm 8,29). Jésus est venu nous apprendre que nous sommes tous ses frères et que nous avons un même « Père » ; son Père est devenu le nôtre. Pour nous le faire comprendre, il a pris sur lui la violence qui s’est déchainée sur « Abel le juste », comme le nomme la première prière eucharistique. Le Juste a versé son sang pour que les injustes qui l’ont mis à mort soient sauvés et pardonnés (cf. 1 P 3,18). C’est le renversement annoncé dans l’histoire de Joseph, vendu par ses frères et qui devient le sauveur de ses frères.

  1. L’Église comme fraternité prophétique

Avec Jésus, le projet de Dieu est donc de restaurer cette fraternité universelle qui existait avant le péché de l’homme. La première épître de Jean oppose le meurtre de Caïn qui donne la mort à son frère et la pratique du commandement de l’amour du frère qui fait vivre. Voici ce passage essentiel de cette épître :

« 10 À ceci sont reconnaissables les enfants de Dieu et les enfants du diable : quiconque ne pratique pas la justice n’est pas de Dieu, ni celui qui n’aime pas son frère. 11 Car tel est le message que vous avez entendu dès le début : nous devons nous aimer les uns les autres, 12 loin d’imiter Caïn, qui, étant du Mauvais, égorgea son frère. Et pourquoi l’égorgea-t-il ? Parce que ses œuvres étaient mauvaises, tandis que celles de son frère étaient justes. 13 Ne vous étonnez pas, frères, si le monde vous hait. 14 Nous savons, nous, que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères. Celui qui n’aime pas demeure dans la mort. 15 Quiconque hait son frère est un homicide ; or vous savez qu’aucun homicide n’a la vie éternelle demeurant en lui. 16 À ceci nous avons connu l’Amour : celui-là a donné sa vie pour nous. Et nous devons, nous aussi, donner notre vie pour nos frères. 17 Si quelqu’un, jouissant des biens de ce monde, voit son frère dans la nécessité et lui ferme ses entrailles, comment l’amour de Dieu demeurerait-il en lui ? » (1 Jn 3,10-17).

On peut citer encore cet autre passage : « Si quelqu’un dit : ‘J’aime Dieu’ et qu’il déteste son frère, c’est un menteur : celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, ne saurait aimer le Dieu qu’il ne voit pas. 21 Oui, voilà le commandement que nous avons reçu de lui : que celui qui aime Dieu aime aussi son frère » (1 Jn 4,20-21). Jésus donne le commandement de l’amour du prochain comme signe de cette fraternité pratiquée sans frontières. Le précepte du Lévitique est valable pour tout homme, comme l’enseigne la parabole du Bon Samaritain (Lc 10). La fraternité consiste à s’intéresser à ceux que l’on rencontre sur ses propres chemins, à « prendre soin » de quiconque sans distinction, simplement parce qu’il est homme comme moi, parce qu’il est aimé de Dieu et qu’il est frère de Jésus. C’est ce que fait le Samaritain, qui s’arrête, se penche et porte secours, sans savoir si l’homme à terre est juif, romain, ou samaritain. Jésus va jusqu’à demander qu’on aime aussi les ennemis (Mt 5,43-44) ! Suivre Jésus implique d’être simplement le prochain de tous, d’être frère de tous.

La fraternité repose donc sur la pratique inconditionnelle de la charité. « Vivez la charité » dit un cantique qui est chanté au Cameroun. Aimer son prochain, c’est le considérer simplement comme un frère. Des saints comme Vincent de Paul ou, plus près de nous le Père Lataste et Mère Teresa, nous l’ont bien fait comprendre. La fraternité vécue c’est ne plus faire de différence entre les hommes, comme Dieu qui ne fait pas acception des personnes : « Le Seigneur votre Dieu est le Dieu des dieux et le Seigneur des seigneurs, le Dieu grand, vaillant et redoutable, qui ne fait pas acception de personnes et ne reçoit pas de présents » (Dt 10,17)[5]. Converti au Christ et méditant l’Évangile, Charles de Foucauld a cherché lui aussi comment il pouvait imiter son Seigneur. Il a compris qu’il lui fallait devenir « frère universel », petit frère de tous.

Dans le Nouveau Testament, la fraternité apparaît comme la caractéristique concrète de la communauté chrétienne, où chacun devrait considérer l’autre comme un « frère ». En désignant Jésus comme « l’aîné d’une multitude de frères », Paul fonde la fraternité des croyants dans leur relation au Christ (Rm 8,29) qui « n’a pas honte de les appeler frères » (He 2,10-11). Au tout début des Actes des Apôtres, avant la désignation de Matthias comme successeur de Judas dans le groupe des Douze, Luc écrit que « Pierre se leva au milieu des frères » (Ac 1,15) et commença son discours en disant « Frères… » (Ac 1,16). L’expression « les frères » revient souvent dans la suite du livre pour désigner les croyants. Dans ses lettres, Paul s’adresse à ceux qu’il appelle « frères », et il n’est pas le seul.

  1. Une appellation qui remonte à Jésus

Jésus désigne ses disciples comme ses frères : il les montre en disant : « Voici mes frères ! » (Mt 12,48-49 ; Mc 3,34), quand on lui dit que « sa mère et ses frères le cherchent » ; ses frères et sœurs ne sont donc plus les gens de sa famille, les cousins proches ou éloignés (Mt 13,55 ; Mc 3,31-32 ; Lc 8,19-20), mais « ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la mettent en pratique » (Lc 8,21)[6]. Ressuscité, il dit à Marie-Madeleine et aux femmes : « Ne craignez pas ; allez dire à mes frères de se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront » (Mt 28,10). À Marie-Madeleine seule, il dit : « Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Mais va trouver mes frères et dis-leur : je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (Jn 20,17). Il dit encore à ses disciples : « vous n’avez qu’un seul Maître et vous êtes tous frères » (Mt 23,8). La rencontre de Jésus conduit à établir des relations fraternelles entre les disciples, si bien que « ce que vous avez fait à l’un des plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,40). À Simon Pierre, avant la Passion, il dit : « j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. Et toi, quand tu seras revenu, affermis tes frères » (Lc 22,32). Si les premiers disciples que Jésus appelle sont des frères de sang – André et Simon, Jacques et Jean (Mt 4,18.21 ; cf. Mt 20,24) – la fraternité que Jésus veut faire naître ne sera pas une fraternité fondée sur des liens familiaux, sur la généalogie. Lui-même ne se laissera pas kidnapper par sa famille (Mt 12,46 ; 13,55) ou les gens de son village de Nazareth (Lc 4).

La communauté chrétienne est une communauté de frères et de sœurs de Jésus ; ils peuvent s’adresser à Dieu en l’appelant « Père » comme Jésus, ayant reçu en eux l’Esprit qui fait d’eux des enfants d’adoption. Nous sommes donc fondamentalement frères, non pas seulement parce que tous créés par Dieu, mais parce que nous avons tous été adoptés par Lui. Nous  somme ses enfants, grâce à Jésus qui s’est fait notre frère, à la fois dans l’Incarnation et par sa mort sur la Croix. « Quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme (…) afin que nous recevions l’adoption filiale. Et parce que vous êtes fils, Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans nos cœurs, criant : Abba ! Père ! » (Ga 4,4-6). Cette fraternité a une extension universelle : d’une part le chrétien est frère de tous les plus petits parmi les frères de Jésus (Mt 25), d’autre part les mots du « Notre Père » ne lui sont pas réservés pour prier Dieu, ils peuvent être prononcés par toute personne qui croit que Dieu existe ; il n’y a dans cette prière aucune référence explicite à la personne de Jésus ! Elle est sans doute la plus belle prière où chacun peut se reconnaître frère des autres et enfant du même Père.

  1. L’Église-fraternité dans la Première épître de Pierre

Je terminerai cette randonnée biblique en m’arrêtant à deux mots fort intéressants du langage du Nouveau Testament qui nous rappellent, comme le fait aussi la formulation du « Notre Père » où l’on prie en apprenant à dire « nous », qu’on n’est pas chrétien tout seul parce qu’on appartient à une fraternité ! Ces deux mots nous aideront à construire en détention des liens de fraternité et des communautés fraternelles où on apprend à vivre la charité en s’accueillant comme des frères.

D’abord, le mot « fraternité » se trouve deux fois dans la Première épître de Pierre : « Aimez la fraternité » lit-on littéralement en 1 P 2,17 et « les mêmes souffrances sont imposées à votre fraternité dans le monde » en 1 P 5,9. Ce n’est jamais traduit comme cela dans les Bibles qui préfèrent souvent traduire ce mot par des expressions comme « aimez les frères » et « vos frères dans le monde ». Cette importante épître n’emploie jamais le mot « Église », pourtant si fréquent dans les lettres de Paul. Pour l’auteur de l’épître, le mot « fraternité » est synonyme d’« Église ». On ne peut parler d’Église-fraternité qu’en fondant cette fraternité sur Dieu qui est « Père », et sur le Christ qui est « l’aîné d’une multitude de frères » (Rm 8,29).

Quand nous prions Dieu en disant : « Notre Père… », nous reconnaissons que toute communauté chrétienne est une fraternité ! C’est sans doute trop peu perceptible dans nos paroisses… L’Église fraternité est-elle plus facile à construire en détention ? Il me semble que c’est le mot qui convient le mieux pour définir une communauté chrétienne, surtout en détention, mais pas seulement. Le mot « fraternité » évoque une dynamique de relation et d’accueil mutuel. C’est un lieu où on apprend à reconnaître l’autre comme un frère. Parmi les nombreuses dénominations des congrégations religieuses, j’aime particulièrement celle des « petites sœurs des pauvres », tant appréciées parce qu’elles frappaient aux portes de tous, sans faire aucune distinction, et étaient toujours accueillies avec le sourire.

Un autre mot exprime cette fondamentale « fraternité » évangélique et ecclésiale : c’est la philadelphia, mot qu’on traduit habituellement par « amour fraternel ». Ce mot apparaît en de très rares endroits du Nouveau Testament : « Par amour fraternel, soyez pleins d’affection les uns pour les autres ; par honneur, ayez de l’estime les uns pour les autres » (Rm 12,10) ; « Pour ce qui est de l’amour fraternel, vous n’avez pas besoin qu’on vous écrive ; car vous avez vous-mêmes appris de Dieu à vous aimer les uns les autres » (1 Th 4,9) ; « Persévérez dans l’amour fraternel » (He 13,1) ; « Ayant purifié vos âmes en obéissant à la vérité pour avoir un amour fraternel sans hypocrisie, d’un cœur pur aimez-vous ardemment les uns les autres » (1 P 1,22) ; (apportez tout votre zèle à joindre) « à la piété l’amour fraternel et à l’amour fraternel la charité » (2 P 1,7).

Oui, c’est à la charité vécue qui s’exprime dans une fraternité concrète qui implique l’accueil de tous sans faire de différence, que seront reconnus les disciples de Jésus : « À ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres » (Jn 13,35). On peut comprendre : « si vous vous considérez comme des frères. » C’est un beau programme, pour une communauté d’aumônerie en prison, que de construire des liens de fraternité en vivant la charité.

 

Dominique CHARLES o.p.

Bibliste

Grand séminaire régional de Lorraine

Service de la formation du diocèse de Metz

Théologien accompagnateur du Conseil national

 

[1] « Frère(s) » : Ap 1,9 ; 6,11 ; 19,10.

[2] Nun komm, der Heiden Heiland, Der Jungfrauen Kind erkannt, Des sich wundert alle Welt, Gott solch Geburt ihm bestellt.

[3] « Où est ton frère ? » Question pour nous ! « Où est mon frère ? » … Caïn répond : « Je ne sais pas ! Suis-je le gardien de mon frère ? » Et Dieu dit : « Qu’as-tu fait ? La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu’à moi » (Gn 4,10).

[4] Dès le sein maternel de Rebecca (Gn 25,21-23 ; Os 12,4 : « Dans le sein maternel Jacob saisit son frère par le talon ») et à la naissance (Gn 25,26) ; puis la vente du droit d’aînesse pour une soupe de lentilles (25,29-34) ; après l’usurpation de la bénédiction (Gn 27) naît le projet d’Ésaü de tuer son frère (27,41) ; la fuite de Jacob chez Laban et son retour avec ses deux femmes ; la peur de la rencontre de son frère Esaü préparée par la traversée du Yabboq (Gn 32), puis la réconciliation (33,3-11).

[5] Cf. Si 35,12 ; Ac 10,34 ; Rm 2,11 ; Ga 2,6 ; Ep 6,9 ; 1 P 1,17.

[6] Il invite à laisser ses frères et sa famille pour le suivre (Mt 19,29 ; Mc 10,29-30 ; Lc 14,26 ; 18,29). Suivre Jésus demande à quitter sa propre famille… D’ailleurs, il semble bien selon Jn 7,5 que « ses frères eux-mêmes ne croyaient pas en lui ».

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